Autrefois présentée sous le nom de « versement social unique », cette future prestation sociale regroupe des enjeux colossaux. Explications.
Onze ans après la création du revenu de solidarité active (RSA), un nouveau « revenu universel d’activité » verra le jour en 2020. C’est l’une des annonces qu’a faites Emmanuel Macron lorsqu’il a présenté son « plan pauvreté », jeudi 13 septembre. Si les contours de cette mesure restent à préciser, il s’agit d’un chantier de grande ampleur, qui devrait concerner des millions de bénéficiaires et qui soulève d’ores et déjà de nombreuses questions. Voici ce que l’on en sait pour l’heure.
1. Que propose Emmanuel Macron ?
Le chef de l’Etat a présenté le « revenu universel d’activité » comme une aide « qui fusionne le plus grand nombre possible de prestations, et dont l’Etat sera entièrement responsable ». L’idée à retenir est que plusieurs aides sociales seront regroupées en une seule, versée en une fois. La future allocation unique pourrait voir le jour dès 2020, sachant qu’il s’agit d’un chantier de grande ampleur : aujourd’hui, les différentes prestations sociales sont gérées par des organismes différents, qui assurent chacun la gestion des dossiers des allocataires, avec des règles souvent différentes. L’unification des aides sociales suppose donc aussi d’harmoniser ces conditions et de créer un « guichet unique » pour centraliser les demandes et s’assurer en suite des versements.
La grande nouveauté pour les bénéficiaires de ce revenu est qu’ils pourront le toucher automatiquement dès que leurs revenus « passent en dessous d’un certain seuil ».
Il sera conditionné à des « devoirs » de la part des allocataires : il y aura une « obligation d’inscription dans un parcours d’insertion, qui empêche de refuser plus de deux offres raisonnables d’emploi ou d’activité figurant dans son contrat », a déclaré le chef de l’Etat.
Emmanuel Macron n’a pas précisé le montant envisagé de ce revenu, mais il a dit souhaiter qu’il puisse « permettre à chacun de vivre décemment ».
2. Quelles seront les prestations concernées ?
Emmanuel Macron n’a pas détaillé la liste des aides qui seraient fusionnées, se contentant de dire vouloir réunir « le plus grand nombre des prestations sociales, du RSA aux APL ». La ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, a dit sur France Inter vendredi qu’il y aurait une concertation « dans les six mois qui viennent » pour définir la liste des allocations concernées et « ce que sera[it] » le revenu universel d’activité en lui-même.
La question est complexe car il existe des dizaines de prestations sociales dans différentes sphères aujourd’hui : les aides à la santé, à la famille, à l’achat d’énergies, à l’emploi, aux agriculteurs, aux personnes en situation de handicap, aux demandeurs d’asile, les bourses étudiantes… Elles sont versées par des multitudes d’organismes et ne sont pas toutes nationales. Traditionnellement, on distingue tout de même deux ensembles :
- les dix minima sociaux (revenu de solidarité active, allocation aux adultes handicapés, allocation de solidarité aux personnes âgées…), qui ne sont pas destinés aux mêmes catégories de population, sont versés à 4,8 millions de personnes afin de leur permettre d’avoir un minimum de ressources pour vivre ;
- la protection sociale dans son ensemble, qui inclut des aides plus spécifiques et bénéficie, au sens large, à l’ensemble de la population.
Emmanuel Macron ayant mentionné les APL dans son discours, son revenu universel d’activité n’engloberait ainsi pas seulement des minima sociaux mais aussi des prestations qui concernaient jusqu’ici des publics plus larges.
3. Y aura-t-il des « perdants » ?
Impossible de chiffrer pour l’heure le coût du futur revenu universel d’activité sans en connaître les modalités précises. S’agira-t-il d’un revenu avec un montant unique ou variable selon différents paramètres ? Et pour quels montants ? Quel sera le plafond de ressources pour en bénéficier ? Autant de questions cruciales pour bien comprendre les enjeux de la réforme.
En revanche, on sait que le fait de verser les prestations sociales de manière automatique, et donc de mettre fin au non-recours, a un coût. Rien que pour le RSA, celui-ci se chiffrerait en milliards d’euros. On estime en effet aujourd’hui qu’au moins 30 % des allocataires potentiels du RSA socle ne le perçoivent pas. Le simple fait de verser le RSA à tous ceux qui y ont réellement droit représenterait ainsi un coût d’au moins 3 milliards d’euros par an (le RSA socle représentait des dépenses de 10,4 milliards en 2015). Si cette réforme se fait sans augmenter le budget des aides sociales en France, le gouvernement devra donc faire des économies sur celles-ci d’une autre manière. Ce qui, mécaniquement, ferait des « perdants ». A ce titre, un récent rapport de France Stratégie, un organisme de réflexion indépendant, rattaché à Matignon, montrait qu’une telle réforme menée à budget constant pour l’Etat ferait des millions de « gagnants », mais aussi des millions de « perdants ».
Emmanuel Macron a d’ailleurs lui-même reconnu ce risque dans son discours jeudi :
« Il faut prendre le temps de l’analyse, de la concertation, parfois des erreurs ont été faites sur ces belles idées, je regarde de l’autre côté de la Manche, la fusion de beaucoup de prestations a conduit à réduire les droits de certains et, au fond, à créer de nouveaux problèmes, et il nous faut analyser très directement, très méthodiquement, ce qui a fait échouer certains autres, parfois ce qui nous a fait échouer lorsque nous voulions faire cela. »
4. Est-ce vraiment un « revenu universel » ?
Le concept de « revenu universel » a été largement popularisé au cours de la campagne présidentielle de 2017, parfois à tort et à travers. A l’origine, les partisans d’un revenu universel, comme le Mouvement français pour un revenu de base, défendaient une idée bien spécifique :
- un revenu inconditionnel (qui n’exige pas de remplir de critères spécifiques) ;
- universel (qui s’adresse à tous) ;
- individuel (qui soit versé aux individus et pas aux foyers) ;
- cumulable avec d’autres aides ou revenus ;
- automatique (qui ne doit pas être demandé) ;
- permanent (qui soit versé de manière continue, tout au long de la vie).
Or, le « revenu universel d’activité » d’Emmanuel Macron ne serait, par exemple, ni inconditionnel, ni réellement universel, ni tout à fait cumulable avec d’autres revenus. L’idée présidentielle ne coche réellement qu’une des cases ci-dessus : celle d’un versement automatique. C’est d’ailleurs pour cela que le programme d’Emmanuel Macron parlait plutôt d’un « versement social unique et automatique », une formulation qui correspondait mieux au fond de cette proposition.
5. Quelles autres propositions existent ?
Plusieurs candidats à la présidentielle de 2017 ont en revanche défendu l’idée d’un revenu universel plus conforme à la philosophie initiale du projet. Ainsi, Nathalie Kosciusko-Morizet proposait-elle de verser, sans condition, 470 euros par mois à tous les Français de plus de 18 ans et entre 200 à 270 euros avant. L’écologiste Yannick Jadot envisageait même un revenu « dès la naissance » de 500 euros par mois, combiné à une grande réforme de la fiscalité.
Le cas de Benoît Hamon est plus discutable. Si l’ancien candidat à la présidentielle a critiqué Emmanuel Macron jeudi sur sa « volonté de récupérer, signer une proposition qui est déjà faite », lui-même a quelque peu tergiversé sur le sujet pendant sa campagne. Parti avec la proposition de verser 750 euros par mois à toute personne majeure (soit un « vrai » revenu universel), Benoît Hamon avait ensuite remanié à plusieurs reprises sa proposition. Sa dernière version était très éloignée de la philosophie de départ, puisqu’il ne s’agissait plus d’une aide universelle mais limitée sous conditions de ressources (en dessous de 1,9 smic).