Emmanuel Macron a laissé entendre jeudi que la mesure, qui doit entrer en vigueur en janvier 2019, pourrait être reportée.
Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu doit entrer en vigueur en janvier 2019… à moins que le président de la République, Emmanuel Macron, n’y mette son veto in extremis. « J’ai plutôt l’intention de conduire cette réforme à son terme, mais j’ai demandé aux ministres compétents de répondre à toutes les questions qui se posent encore avant de donner une directive finale », a-t-il déclaré, jeudi 30 août, à Helsinki, en Finlande.
Preuve que la mesure, déjà reportée de 2018 à 2019 par précaution, inquiète encore au sommet de l’Etat. Voici pourquoi.
1. Doutes sur sa compatibilité avec le système français
Jusqu’à présent, les contribuables payaient à l’administration fiscale, au cours d’une année donnée, leur impôt sur les revenus perçus l’année précédente.
Le prélèvement à la source change deux choses : l’impôt sera directement prélevé sur la fiche de paie des contribuables (c’est l’employeur qui collectera la somme et la reversera à l’Etat) et le décalage d’un an entre revenus et prélèvements sera supprimé. C’est-à-dire qu’en 2019, on paiera ses impôts pour l’année 2019.
Selon le ministère de l’économie, ce nouveau système a un intérêt fondamental : « Pour celles et ceux qui connaissent des changements de situation financière et familiale, l’impôt s’adaptera plus vite. » Il sera en effet possible à « tout moment » de signaler à l’administration, par exemple, un changement d’emploi ou de situation familiale, susceptible de faire varier l’imposition, pour que le taux de prélèvement soit ajusté.
Derrière ce principe général, la situation réelle est toutefois un peu plus complexe. Le calcul de l’impôt sur le revenu ne prend pas seulement en compte les revenus du travail et la composition du foyer, mais une multitude de critères (par exemple, les revenus financiers ou immobiliers). C’est pourquoi la traditionnelle déclaration d’impôts, à faire au printemps, sera maintenue. Par exemple, celle qui sera faite entre avril et juin 2019 prendra en compte les revenus de 2018 et permettra à l’administration fiscale d’ajuster le taux d’imposition des contribuables à la rentrée.
Il existera donc toujours des décalages entre la situation réelle des Français et leur imposition. Le cas des services à domicile (jardinage, aide ménagère…) et les frais de garde d’enfant, qui ouvrent droit à des avantages fiscaux, l’illustre assez bien. Ces avantages ne seront pas pris en compte en temps réel dans la formule retenue : il faudra attendre l’été suivant une année donnée pour que l’administration fiscale prenne en compte ces sommes.
Par exemple, un ménage qui fait appel à une assistante maternelle agréée pour la garde d’un enfant en 2018 devra attendre l’été 2019 pour bénéficier du crédit d’impôt correspondant. Dans certaines situations, dont celle-ci, il est prévu qu’un acompte, c’est-à-dire une avance de 30 % du crédit d’impôts, soit versé en janvier par le fisc pour combler en partie l’écart de trésorerie. Mais attention : celui-ci sera calculé sur les sommes versées deux ans plus tôt. Par exemple, en janvier 2019, l’acompte sera calculé sur les dépenses engagées en 2017 et il faudra attendre la fin de l’été pour que celles de 2018 soient prises en compte. Vous suivez ?
Si le prélèvement à la source est appliqué dans de nombreux pays, comme en Belgique, certains observateurs le considèrent inadapté au modèle français du fait de la nature de notre système, où l’impôt est calculé à l’échelle du foyer et surtout en prenant en compte une multitude de situations particulières.
2. La peur d’une incompréhension des contribuables
Partant de cette situation, la crainte du gouvernement est que la réforme soit mal comprise, et donc mal acceptée par les contribuables. C’est ce qu’a laissé entendre M. Macron lorsqu’il a déclaré, jeudi, avoir besoin « d’une série de réponses très précises et d’être sûr de ce que nos concitoyens vivront » lors de l’entrée en vigueur du nouveau système, « si on le met en place ».
Le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a multiplié ces derniers mois les interventions médiatiques pour tenter d’expliquer la réforme et de déminer les craintes. Son ministère a multiplié les documents et les vidéos pour tenter d’apporter des réponses aux contribuables.
Reste que si le calendrier d’entrée en vigueur du prélèvement à la source est maintenu, les contribuables verront du changement sur leur fiche de paie fin janvier 2019. Concrètement, leur salaire sera grevé du montant mensualisé de leur impôt tel qu’il a été estimé par l’administration fiscale.
Sauf que, malgré toutes les précautions prises par l’administration, cette estimation est toute relative. Selon la multitude de cas particuliers possibles, il pourra y avoir des écarts entre le montant demandé chaque mois en début d’année et l’impôt réellement dû. Cette différence sera régularisée grâce à la déclaration de revenus du printemps, mais il y a là matière à incompréhension, voire colère, le temps que les citoyens s’habituent au nouveau système.
Ceux qui paieront « trop » en janvier, par exemple, pourront ainsi penser que leur impôt a augmenté et s’estimer lésés par le gouvernement. Dans ce contexte, la tenue des élections européennes en mai 2019, quelques mois seulement après l’entrée en vigueur de la réforme, n’est peut-être pas étrangère aux réticences du chef de l’Etat.
3. Le risque d’un effet négatif pour la croissance
L’autre grande crainte du gouvernement serait de voir le prélèvement à la source brouiller les repères des contribuables en matière de revenus, en particuliers les 40 % de ménages qui ne sont pas mensualisés. C’est-à-dire que le fait de recevoir une fiche de paie amputée du montant de l’impôt perturbe leurs habitudes et les incite à moins dépenser, par précaution. Si ce comportement était largement répandu, cela pourrait avoir des conséquences négatives sur l’activité économique – de quoi inquiéter après un été où l’économie française a ralenti (notamment les prévisions de croissance qui ont été revues à la baisse).
Jusqu’ici, le ministre Gérald Darmanin a balayé l’argument : « Chaque année, 3 à 4 milliards d’euros sont bloqués parce qu’une partie des 40 % de contribuables qui ne sont pas mensualisés a tendance à surépargner en prévision des impôts futurs. Cet argent va être débloqué », assurait-il au Journal du dimanche en avril.
Au crédit du gouvernement, on peut aussi ajouter le fait que moins d’un foyer sur deux est redevable de l’impôt sur le revenu (44 % des ménages en 2016, selon le ministère de l’économie) et qu’au total 90 % des contribuables s’acquittent d’un impôt équivalent à 10 % de leurs revenus ou moins. Cela veut dire que les écarts entre le montant estimé au départ des impôts et la somme réelle devraient être limités à une faible fraction du revenu pour le commun des contribuables.
Il est aussi vrai qu’en théorie, le calendrier de paiement de l’impôt prélevé à la source est plus favorable à la trésorerie des ménages que la mensualisation et le paiement par tiers actuels. Prenons le cas fictif d’un foyer qui doit payer 1 000 euros d’impôts par an, en supposant que l’estimation de son impôt correspond à la réalité :
- Avec la mensualisation actuelle, il doit payer 100 euros par mois, de janvier à octobre ;
- Avec le paiement par tiers actuel, il doit payer 333,33 euros en trois fois, au plus tard fin mars, fin juin et fin septembre ;
- Avec le prélèvement à la source, 83,33 euros lui seront prélevés chaque mois de janvier à décembre.
Cependant, les enjeux d’un tel phénomène sont aussi psychologiques et dépendent des conditions dans lesquelles l’entrée en vigueur du nouveau système se fera. Il est donc difficile d’en mesurer la portée aujourd’hui.
4. Crainte des bugs pour les contribuables et les entreprises
Le double défi de la réforme est qu’elle doit s’appliquer à tous les contribuables, et que ce seront de surcroît les entreprises qui géreront la collecte de l’impôt. Une responsabilité supplémentaire accueillie fraîchement par le patronat.
Dans ce contexte, de possibles bugs techniques auront vite fait de placer le gouvernement sous le feu des critiques. En témoignent les échecs de précédents projets de grande envergure comme celui du logiciel de paie des militaires (Louvois) ou la tentative avortée de créer un opérateur national de paie commun à l’ensemble des agents de l’Etat.
Là encore, M. Darmanin se veut rassurant. « Il n’y a aucun bug administratif ou informatique », a-t-il affirmé sur Europe 1 mercredi. « Nous avons reporté d’un an l’année dernière, nous avons travaillé à cette réforme, j’y travaille tous les jours, les entreprises se sont beaucoup préparées à ça », a-t-il ajouté.
Les propos tenus par Emmanuel Macron en Finlande laissent tout de même entendre qu’en cas de doutes, le gouvernement pourrait reporter le projet une nouvelle fois… ou l’abandonner.
Source : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs