Dans une tribune au Parisien - Aujourd’hui en France, le journaliste et essayiste relativise l’importance de cette «affaire».
Brice Couturier, journaliste et essayiste, auteur de « Macron, un président philosophe » (éditions de L’Observatoire)
« Je n’aime pas les complotistes qui voient dans tout événement contredisant leur vision des choses l’effet d’une manipulation. Mais comment ne pas s’étonner que l’affaire Benalla ait éclaté près de 80 jours après les faits ? Au lendemain de la victoire des Bleus en Coupe du monde. Comme s’il avait fallu casser l’ambiance, alors que l’humeur des Français était en train de basculer de la déprime à l’euphorie. Depuis les premières révélations du Monde, le 18 juillet, l’acharnement médiatique ne nous a apporté aucune information nouvelle. Alors ont été créées les commissions parlementaires d’enquête. Absolument nécessaires : l’une des missions des Assemblées est de contrôler l’action du gouvernement. Or, un chargé de mission au cabinet du directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla, a été identifié, parmi les forces de l’ordre, usant de brutalité envers des manifestants. C’est un dysfonctionnement qui méritait sanction. Mais pourquoi un tel vacarme pour une si petite affaire ?
Une affaire d’Etat, comme l’a écrit le quotidien du soir ? Peut-on comparer le dérapage de Benalla au cambriolage du siège du Parti démocrate par les plombiers du président Nixon, comme l’a fait Jean-Luc Mélenchon ? Certainement pas. Ce n’est pas sur ordre de l’Elysée que M. Benalla est allé prêter main-forte aux forces de l’ordre, bombardées de bouteilles vides et de chaises sur la place de la Contrescarpe. Il l’a fait de sa propre initiative.
Dans cette affaire, bien des informations relayées par la presse se sont dégonflées comme des baudruches. Non, M. Benalla n’a jamais été proposé au grade de sous-préfet : il faut au minimum 35 ans au tour extérieur. Non, il n’était pas rétribué 10 000 euros par mois, mais 6 000 euros, comme les autres chargés de mission de l’Elysée. Non, il n’occupait pas un appartement de 200 m2, mais allait s’en voir attribuer 80 dans une résidence de 63 appartements dont dispose l’Elysée pour loger ses collaborateurs. Les deux personnes qu’il a appréhendées, en outrepassant la mission d’observation qui lui avait été confiée, n’étaient pas de paisibles consommateurs, mais des manifestants. Il n’a pas non plus la clé de la villa du Touquet… Sur les réseaux sociaux, il était présenté, par l’extrême droite, comme une racaille montée de la banlieue. Comme un gorille, membre d’un équivalent du SAC gaulliste, par l’extrême gauche. Racisme et paranoïa.
Dans cette affaire, le plus gênant, c’est de voir, en effet, s’opérer les prémisses d’une conjonction des extrêmes qui évoque tristement la coalition qui gouverne aujourd’hui l’Italie. Chez nous, les oppositions n’étant d’accord sur rien, elles se sont ruées trop vite sur un plus petit dénominateur commun. La boule puante risque fort de leur revenir, telles qu’ils l’ont façonnée, façon boomerang… Les électeurs comprennent bien qu’il s’agit, en réalité, de contester leurs choix de l’année dernière ; de bloquer les réformes, en niant la légitimité d’un président de la République élu avec deux tiers des voix, et qui dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Les vrais problèmes du pays s’appellent chômage de masse, dépenses publiques hors de contrôle, isolement croissant de la France en Europe. C’est sur ces sujets qu’on attend les idées de l’opposition. Pas avec un fait divers estival, monté en mayonnaise par des services de sécurité, peut-être exaspérés par la place qu’avait prise Alexandre Benalla dans les dispositifs élyséens. Les partis du vieux monde n’ont toujours pas compris qu’on avait changé d’époque. Le pays aurait pourtant besoin d’une opposition. Elle reste manifestement à inventer. »
Source : Le Parisien