Il y a quelques temps, Chris Hemmings travaillait encore pour l’une des multinationales les plus tentaculaires et puissantes du monde : Coca-Cola. Une entreprise qui va bien au-delà de la simple vente de boissons. Après avoir quitté son travail sous le poids des remords, il a décidé de livrer son témoignage, que chacun soit libre de juger.
Certains diront qu’il est bien trop convenu de casser du sucre sur le dos des grands noms comme Mcdo, Coca, Nestlé et autres multinationales de renom. Et pourtant, ceux-ci constituent les symboles forts d’un capitalisme industriel débridé où l’humain est dissous derrière la personne « morale » de l’entreprise cotée en bourse dont le seul but est d’accroitre la croissance de ses bénéfices pour le plus grand bonheur des actionnaires. Là où les moyennes et petites entreprises vont généralement tenter de répondre à un besoin par une simple offre, les multinationales détiennent un pouvoir tel qu’elles tentent d’imposer leur marque dans les esprits, usant de tous les subterfuges possibles, du neuromarketing à des contrats d’exclusivité, en passant par la manipulation des études, au lobbying auprès des gouvernements jusqu’à l’accaparement des terres.
En tant qu’ex-employé de Coca-Cola, l’entreprise aux 3500 sous-marques de boissons à travers le monde, Chris Hemmings livre son témoignage sur le site d’information anglais The Independant. Celui-ci se penche particulièrement sur les moyens mis en œuvre par l’entreprise pour imposer sa marque partout où elle le peut, y compris au cœur des écoles quand cela est faisable, refusant évidemment d’admettre toute responsabilité vis à vis des problèmes de santé en expansion dans les pays où la malbouffe est devenue culturelle. Il titre son pamphlet : « Coca-Cola payerait des experts de l’alimentation pour contrer les revendications concernant l’obésité ? Je ne suis pas surpris, ce que j’y ai vu m’a horrifié ! » Voici une traduction sommaire de son propos.
Illustration : Latuff
Le texte (à lire en anglais sur The Independant)
« Telle une canette trop secouée, l’indignation se répand désormais partout. Une enquête menée par The Times a dévoilé la façon dont Coca-Cola dépense des millions de dollars chaque année pour essayer de réfuter l’irréfutable. Franchement, quiconque est assez crédule pour croire aux «études» suggérant que ces cannettes de sucre pétillantes ne font pas grossir est un idiot. Mais ce n’est pas le véritable problème ici. Le vrai problème, c’est ce que Coca-Cola fait jour après jour, et personne ne trouve rien à redire sur le sujet.
Quand on m’a offert mon tout premier job en 2009, c’était, à mon plus grand malheur, chez Coca-Cola Enterprises (une branche anglaise de Coca-Cola Company). J’étais un représentant des ventes sur le territoire. Avec une camionnette pleine à craquer de toutes les boissons que j’avais l’habitude d’avaler quand j’étais gamin (Fanta, Sprite, Capri Sun, et, bien sûr, l’arc en ciel de variétés de type Coke). Je partais donc joyeux avec l’objectif de vendre, vendre, vendre… Il ne fallut pas deux jours pour que mon enthousiasme soit complètement détruit.
Avec ma camionnette aux couleurs de la marque, je m’approchais de mon troisième magasin de la deuxième journée. Mon objectif était clair : faire connaissance avec mon client, apprendre à connaître leurs clients, lui vendre tout ce dont il avait besoin et, enfin, lui vendre tout ce dont il n’avait pas besoin. En arrivant aux abords de la station d’essence, à ma grande consternation, je remarque un jeune garçon, sans doute pas plus vieux que quatorze ans. Quatorze ans, mais surtout lourd comme quatorze pierres (14 stones = 88 kilos). Vêtu d’un affreux uniforme scolaire fluorescent, son visage était rouge vif. Rouge de devoir péniblement se tenir debout. Dans sa main ? Une bouteille de deux litres de Sprite. La teneur en sucre de celle-ci est de 136 grammes. Ceci représente 144 pour cent de son apport journalier recommandé. Et sur ma liste « à vendre », il y avait de nombreux packs de ce type de boisson.
J’étais devenu le conduit qui mène à l’obésité, et j’ai commencé à me sentir très mal.
Cela a donc duré – jour après jour, mois après mois. Chaque mois, une nouvelle cible, un nouveau produit ou une nouvelle initiative à vendre à l’un de mes 144 clients. Chaque boisson était individuellement notée, récoltée et marquée par le « grand ordinateur Coke » de retour à la base. Pour toute boisson mise en vente, il y avait une enquête à mener. Un seul produit « non-coke » qui se retrouvait dans un réfrigérateur officiel Coca-Cola et la société pouvait envoyer des lettres de menaces au propriétaire du petit magasin du coin déjà en difficulté. Peu importe si le produit en question ne pourrait pas être vendu, les magasins sont contractuellement obligés de remplir leur réfrigérateur avec tout ce que Coca-Cola leur demande.
Et là est arrivé le nouvel âge d’or : la boisson énergétique. Depuis la venue de Red Bull (distribué par Coca-Cola), le secteur grossissait d’années en années de plusieurs pourcents, sans montrer le moindre signe de ralentissement. Réunions après réunions, on nous présentait toutes les nouvelles variétés de concentrés explosifs de sucre et de caféine que nous devions colporter : quatre saveurs Implacables, trois Monsters, trois Powerade et, pour un bref moment, les « shots » d’énergie. Nos objectifs devaient être respectés, et nos objectifs étaient les enfants. « Il faut connaître où se trouvent les grandes écoles dans votre secteur » nous a-t-on dit. « Montrez aux commerçants ces graphiques, tableaux, chiffres… les enfants adorent ces produits.«
Une canette de « Monster » de 500ml ne contient pas seulement 47% de la quantité de sucre recommandée, c’est aussi 160mg de caféine. C’est l’équivalent d’une tasse et demie de café avec dix sucres. Essayez de donner ça à votre adolescent pour voir. Les professeurs ont commencé à se plaindre que les enfants étaient drogués aux boissons énergétiques durant la classe, pour être épuisés plus tard dans la journée. Donc, beaucoup d’écoles ont fait interdire les boissons gazeuses de leurs locaux. Coke a dû commencer à retirer ses distributeurs à travers tout le pays. La réaction fut simple : il faut leur vendre en dehors. Et voilà ! Bienvenue dans l’ère des menus spéciaux.
C’était le nouveau « bébé » des patrons. Dans chaque maison de la presse, sandwicherie ou café, il fallait lier nos produits avec tout ce qui passait, du journal aux chips. On offrait notre image de marque en échange de tarifs préférentiels ou de placements de produits dans les magasins. Coke vous raconte qu’un seule bouteille de 500 ml contient deux portions. Un peu confus quand on devait associer une bouteille avec une seule portion de sandwich.
Pendant les Jeux Olympiques, notre plan d’action était effrayant. En tant que sponsor officiel, nous avons complètement détourné le sens du relais de la torche olympique. En interne, ce n’était plus une question de torche, mais bien de savoir combien de produits allaient être disponibles sur la route à travers le Royaume-Uni. Alors que je travaillais avec les supermarchés du coin, on m’a dit que je devrais avoir honte de l’offre dérisoire que je faisais aux magasins Tesco. Nous étions censés célébrer une flamme olympique de passage, mais tout ce que Coca-Cola voulait, c’était de pisser leur produit sur toutes les personnes présentes. J’ai commencé à contester notre éthique interne. Mais la réponse était souvent en mode « passif-aggressif » : « Nous voulons tout simplement offrir un choix au client. » Ce que je n’ai jamais cessé de contester jusqu’à aujourd’hui. Avec un tel niveau de publicité, de parrainage et de marketing, c’est moins un choix qu’un reflexe inconscient.
Nous avons travaillé avec les quatre grands supermarchés pour proposer des offres de Coca avec de la pizza, du Coca avec du poulet, du Coca avec un plat de curry et, bien sûr, du Coca avec toujours plus de Coca. Nous avons du nous battre pour avoir autant d’espace d’affichage publicitaire que possible dans chaque magasin et des collègues ont été salués comme des héros pour la construction d’une maquette d’un stade à partir de boîtes 6-pack de Coca lors de la Coupe du monde. On nous a même demandé de mettre du Capri Sun sur les chemins à la sortie des écoles. Plus on réussissait, plus nous étions payés. Parce que Coca-Cola ne se soucie pas de ses clients, ils se soucient uniquement de ce qui les concerne.
Mais les gens observent ces problèmes avec le peu d’études qui existent, cachées dans des revues que personne ne lira jamais, ils sont assis silencieusement à ne rien faire alors qu’ils sont giflés au visage par les marques. Nous permettons à des entreprises comme Coca-Cola de parrainer la FIFA, les Jeux olympiques et la Coupe du Monde de Rugby, sans même interroger l’éthique d’une telle décision. En versant des millions de nos dollars de diabétiques dans ces événements, nous commençons à associer l’activité physique avec des boissons gazeuses. C’est totalement ridicule, mais incontesté à ce jour. Leur plan marketing est un mastodonte, écrasant sous son pied toute forme de décence ainsi que notre santé, à la recherche de nouveaux profits.
L’argent parle, et Coca-Cola en a beaucoup. Notre seule défense est de cesser de leur en donner.
Oh – et si vous buvez ces fameuses eaux vitaminées, croyant que c’est bon pour vous, vous méritez ce triple pontage. »
– Chris Hemmings
Illustration : Latuff
Source : independent.co.uk / pinterest.com