Canicule en France, en Suède ou au Japon, avec des records de chaleur dans le monde entier et des incendies meurtriers. « Le réchauffement climatique est bien là », explique le climatologue Jean Jouzel, qui détaille son mécanisme et son évolution.
Un record absolu de chaleur a été battu en Suède, près du cercle polaire, à Kvikkjokk, le 17 juillet dernier avec 32.5°C ! Plus largement, la Scandinavie vit des températures inédites et l’Organisation météorologique mondiale (OMM) prévoit des températures supérieures à la normale jusqu’à début août, de l’Irlande aux pays Baltes, en passant par la Scandinavie. La canicule a aussi investi le Japon, la Grèce, la Sibérie ou Los Angeles, avec des dizaines de morts, notamment liées à des incendies géants. En décembre dernier, pour la première fois, une étude publiée dans le « Bulletin of the American Meteorological Society » concluait que le réchauffement était le seul responsable du record de chaleur global pour 2016 et d’une canicule extrême en Asie.
Climatologue et glaciologue, ancien vice Président du groupe scientifique du GIEC, Jean Jouzel revient sur les causes de ce réchauffement climatique et ce que l’on peut en attendre.
Etes-vous surpris par l’ampleur de ces incendies ?
Non. C’est malheureusement ce qui est envisagé en cas de réchauffement climatique et le réchauffement climatique est bien là. Dans le cas de la Grèce, ce sont des périodes de sécheresse autour de la Méditerranée, avec on l’a vu, malheureusement, pas mal de morts. Et c’est une situation assez exceptionnelle dans le Grand Nord, en Scandinavie. Mais elle va normalement devenir de plus en plus fréquente.
On est vraiment dans le contexte du réchauffement climatique lié aux activités humaines, et ces événements – feux de forêts en Europe et décès liés aux canicules - vont se multiplier.
Dans le Nord de l’Europe, les températures sont inégalées. Comment cela peut-il s’expliquer ?
Oui, ce sont des records. Des températures qui vont au-delà de 30 degrés, voire 35 degrés, au Nord du cercle polaire sont inédites dans ces régions. C’est lié à un système de hautes pressions qui se maintient et qui risque de se maintenir jusqu’à la fin de ce mois. S’y ajoute une période de sécheresse extrêmement longue. Nous avons donc tous les ingrédients pour des feux de forêts. En plus, ces pays ne sont pas du tout préparés aux incendies.
Il faut voir aussi que le réchauffement climatique en Scandinavie est en moyenne deux fois plus rapide qu’il ne l’est à l’échelle de la planète. Il y a donc une amplification des températures dans les hautes latitudes nord qui est très visible depuis un siècle et qui va se poursuivre.
Cela est lié en particulier à la fonte des glaces de mer et des surfaces enneigées. Il y a moins de zones enneigées actuellement qu’il y a trente, quarante, cinquante ans. Or ces surfaces ont la propriété de renvoyer une large partie du rayonnement solaire vers l’atmosphère. Ce n’est pas le cas des zones de forêts, de toundra ou de l’océan libre qui ont remplacé la neige. Elles absorbent au contraire largement la chaleur et les rayonnements solaires. Cela explique en partie le fait que les températures augmentent deux fois plus rapidement dans les régions de l’Arctique qu’elles n’augmentent en moyenne globale.
Ces zones de hautes pressions qui stagnent sur la Scandinavie sont conjoncturelles, mais sommes-nous aussi face à un phénomène de long terme ?
C’est effectivement la question. Tout le problème est de savoir si ces zones de haute pression sont liées au réchauffement climatique global. D’après les météorologues, elles devraient se prolonger toute la semaine. En tous cas, elles s’inscrivent dans un réchauffement climatique que nous décrivons depuis longtemps.
A l’échelle planétaire, 2018 est la troisième année la plus chaude que nous ayons connue, après 2016 et 2017. On reste bien dans un contexte de réchauffement global avec des records qui sont battus. Et cela va devenir de plus en plus fréquent dans le monde, à mesure que le réchauffement climatique va se mettre en place.
Il va falloir s’y habituer. C’est ce que nous disons, nous, climatologues depuis trente ans. Par exemple en France, même d’ici 2025, on aura des températures record de 2 à 3 degrés plus chaudes qu’elles ne le sont actuellement. Aujourd’hui, les températures record tournent autour de 42, 43 degrés en France. A l’échelle d’une dizaine d’années, elles pourraient arriver à 45 degrés. Et si le réchauffement climatique n’était pas maîtrisé, on pourrait aller au-delà de 50 voire 55 degrés dans certaines régions de l’Hexagone, dès la deuxième moitié de ce siècle.
Et en Europe, si rien n’est fait pour lutter contre le réchauffement climatique, pratiquement deux tiers des habitants auront à faire face à des extrêmes climatiques. En cas de réchauffement non maîtrisé, il risque d’y avoir d’ici la deuxième moitié du siècle, 50 fois plus de décès liés aux catastrophes climatiques qu’actuellement. Aujourd’hui, on déplore 3 000 décès par an, on risque d’avoir 150 000 décès par an, en Europe, liés essentiellement aux périodes de canicule.
On a ce sentiment que l’Europe est un continent moins vulnérable que d’autres, ce qui est bien le cas. Mais l’Europe est quand même très vulnérable au réchauffement climatique. On le vit actuellement avec le problème de ces feux de forêts très importants. Ces risques vont aller en s’amplifiant. Ce sont des choses que nous répétons continuellement, depuis vingt ans, trente ans. Mais il faut vraiment que les gens aient à faire face à ces difficultés pour qu’ils en prennent conscience. Et malheureusement, il y a un risque qu’il ne soit trop tard pour lutter contre le réchauffement climatique de façon efficace. C’est aussi très clair. On rentre dans un autre monde, c’est maintenant qu’il faut agir.
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Sommes-nous entrés dans la phase d’emballement du réchauffement climatique qui est très redoutée ?
Non. Ce qui se produit en Europe actuellement est dans la ligne de ce qu’on anticipe. Il n’y a pas de déraillement du train, et on en est bien loin. Le problème est que même sans être sortis des clous en matière de climat, la montée normale des températures que l’on envisage se traduit forcément par des extrêmes plus extrêmes et en particulier des vagues de chaleur qui deviennent de plus en plus fortes. Cette année, c’est en Europe. En 2010, c’était plutôt en Russie. On battra de plus en plus fréquemment des records, c’est inhérent au réchauffement moyen des températures.
Tout ce réchauffement est-il attribuable aux gaz à effet de serre ?
L’essentiel de ce réchauffement est attribué aux activités humaines. En premier lieu, notre utilisation de combustible fossile, qui dégage du gaz carbonique – premier contributeur à l’augmentation de l’effet de serre. Les activités agricoles contribuent aussi aux émissions de méthane et de protoxyde d’azote. Mais pour 80%, il s’agit des gaz carboniques qui sont liés à notre utilisation du pétrole et du gaz. Et, si nous voulons être en mesure de tenir l’objectif de l’accord de Paris, il faut aller très rapidement vers une transition énergétique qui nous amène vers une société bas carbone.
Il faut voir que nous sommes partis pour des réchauffements de 3 degrés et demi en moyenne globale, donc des étés de plus en plus chauds et des décès de plus en plus importants, y compris en Europe. Il faut prendre la mesure de ces projections qui sont à la disposition de tous les citoyens et de tous les médias. Mais ce sont des choses, je le répète, que l’on dit depuis trente, quarante ans.
Le réchauffement climatique est-il lié à l’activité humaine ?
Notre pays ne semble pas tenir ses objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Oui, la France s’est fixée comme objectif de diminuer ses émissions polluantes de 20% en 2020 et de 40% en 2030. Or si l’on regarde 2017, les émissions ont augmenté de 3% par rapport à l’année précédente. Nous ne sommes pas du tout sur la trajectoire dans laquelle un pays comme le nôtre devrait s’inscrire. Alors que nous sommes – à travers l’accord de Paris – aux avant-postes de la lutte contre le réchauffement climatique.
Source : franceculture.fr