La Chine se met à vendre la dette américaine… au risque de provoquer un krach mondial ?

Pékin se déleste d’une partie de ses emprunts d’Etat américains…

Une inflexion inquiétante ? Alors que les achats par les investisseurs chinois - dont notamment la People’s Bank of China (PBoC, banque centrale chinoise, NDLR) - d’emprunts d’Etat américains étaient déjà “négligeables depuis un an et demi”, la Chine s’est mis à vendre en avril et en mars, avec des cessions nettes de 9,3 milliards de dollars en cumul (contre des ventes nettes de 3,7 milliards sur les six derniers mois et des achats nets de 36,9 milliards sur un an, NDLR), rapporte Stéphane Déo, stratégiste chez La Banque Postale Asset Management, qui précise que ces chiffres “donnent les achats totaux des Chinois, même s’il est très probable que la PBoC représente l’écrasante majorité des transactions”. Si elle devait s’accentuer, cette évolution serait particulièrement inquiétante pour l’économie mondiale et les marchés, comme vous allez le découvrir dans ce diaporama, rédigé le 22 juin 2018.

 

… Un signal d’alarme ?

Certes, les ventes de bons du Trésor américains restent pour l’heure relativement modestes. D’autant que “les encours d’emprunts d’Etat américains dans les réserves de change de la PBoC avoisinent 1.200 milliards de dollars, soit près d’un tiers des réserves de change de l’Empire du milieu. La Chine a en effet pris l’habitude de recycler les excédents de sa balance courante (échanges de biens, de services, de revenus et de transferts courants, NDLR) en titres américains”, rapporte Philippe Berthelot, co-directeur de la gestion obligations chez Ostrum Asset Management. Reste que cette inflexion négative amène à s’interroger, dans le contexte actuel de bras de fer commercial entre Pékin et Washington…

Vendre la dette américaine, une mesure de rétorsion pour la Chine ?

Il faut dire que l’Empire du milieu est le principal créancier des Etats-Unis. Ainsi, face à l’offensive de Donald Trump, qui cherche à réduire le lourd déficit commercial de l’oncle Sam vis-à-vis de la Chine, Pékin pourrait “en théorie, menacer de vendre - ou se mettre à vendre - massivement des emprunts d’Etat américains pour fragiliser les Etats-Unis afin de ramener le président à de meilleurs sentiments, à la table des négociations”, souligne Philippe Berthelot. “Une menace à relativiser, Pékin ayant peu d’alternatives aux bons du trésor américain”, nuance toutefois l’expert. En effet, “les Bunds (emprunts d’Etat allemands, NDLR) ont un rendement annuel proche de 0 et sont difficiles à trouver, du fait des achats d’obligations massifs de la Banque centrale européenne et du faible volume d’émissions de dettes de l’Allemagne, qui fait preuve d’orthodoxie budgétaire. De même, les JGB (emprunts d’Etat japonais, NDLR) rapportent peu et sont majoritairement détenus par l’ensemble des investisseurs domestiques nippons”, explique-t-il.

Une arme nucléaire qui pourrait faire exploser les taux d’intérêt aux Etats-Unis

“Le risque majeur associé à un éventuel scénario de ventes massives d’emprunts d’Etat américains - mettons pour plusieurs centaines de milliards de dollars - est celui d’une envolée, bien plus forte que prévu, des taux d’intérêt à long terme des Etats-Unis”, avertit Philippe Berthelot. En effet, si la PBoC devait vendre massivement des bons du Trésor américains, l’impact sur les cours risque d’être dévastateur. Or, il y a une relation inverse et mécanique entre l’évolution des cours des emprunts d’Etat et leur rendement, c’est-à-dire le taux d’intérêt… “S’il ne constitue pas, pour l’heure, notre scénario central, le risque d’un mini-krach sur les emprunts d’Etat américains est donc sur la table, surtout dans un contexte de réduction du bilan de la Réserve fédérale des États-Unis (banque centrale de l’oncle Sam, NDLR) via des cessions de bons du Trésor américain. Avec ses tweets, Donald Trump joue donc à un jeu très dangereux”, conclut l’expert.

Le risque haussier sur les taux est confirmé par l’analyse technique

Le risque d’envolée des taux d’intérêt à long terme serait alors d’autant plus grand que du point de vue de l’analyse technique, le taux d’intérêt à 10 ans de l’emprunt d’Etat américain est actuellement sur le fil du rasoir. Il évolue à quelques encablures de la résistance de 3,05%, soit le sommet de janvier 2014. “Son franchissement net - et confirmé par un maintien au-dessus de ce seuil - en données hebdomadaires constituerait un signal haussier majeur pour le taux d’intérêt à 10 ans des emprunts d’Etat américains », avertit Jean-Luc Attal, gérant obligations chez Ostrum Asset Management.

De lourdes conséquences, en cascade !

S’il devait se matérialiser, le scénario d’une envolée marquée des taux d’intérêt à long terme aux Etats-Unis ne manquerait pas de provoquer de fortes turbulences. “Dans un tel cas de figure, le marché immobilier américain et la consommation des ménages souffriraient, tandis que les défauts de paiement se multiplieraient parmi les sociétés américaines les plus fragiles, alors que l’endettement des entreprises du pays est déjà historiquement élevé ! Par ailleurs, une envolée des taux d’intérêt aux Etats-Unis devrait avoir un effet de contagion de ce côté-ci de l’Atlantique, avec une augmentation de nos taux d’intérêt à la clé, même si le phénomène devrait être atténué par le différentiel de positionnement dans le cycle économique. Enfin, un bond des taux américains constituerait une multiplication de vents contraires pour les pays émergents”, juge Philippe Berthelot.

Quels placements souffriraient ?

Dans ce scénario noir, la plupart des placements seraient affectés. Cela induirait une remontée de l’aversion au risque et une réévaluation de l’ensemble des actifs risqués. Cela comprend les emprunts d’Etat, mais aussi les obligations d’entreprises et celles à haut rendement, les actions des pays développés (qui pourraient pâtir de l’augmentation de la rémunération des emprunts d’Etat, réputés sans risque, et de l’impact sur les profits des entreprises du choc sur l’économie) comme celles des pays émergents, sans oublier l’immobilier

Quelques raisons d’espérer

Heureusement, “l’arme des ventes massives d’emprunts d’Etat américains ne devrait être utilisé qu’en dernier recours par la Chine, car elle aurait l’inconvénient de déprécier le dollar face au yuan, ce qui rendrait les produits de l’Empire du milieu encore moins compétitifs. Et ce, alors que les taxes américaines sur les importations de produits chinois rendront déjà ces derniers moins concurrentiels… L’arme des ventes massives de bons du Trésor serait donc contre-productive pour Pékin, dans un contexte de guerre commerciale. Cette arme pénaliserait par ailleurs la valeur du stock de dette américaine détenu par la PBoC… Pour nous, cela ne constitue qu’un scénario dit de fat tail, c’est-à-dire avec une probabilité infime de se concrétiser, mais assortie d’un impact énorme !”, relève Philippe Berthelot.

Source : Capital