Si le Benallagate est si explosif, c’est qu’il combine quatre affaires : la violence gratuite, l’usurpation de fonctions, le retour des barbouzeries, et la tentative d’étouffer l’affaire.
Si le « Benallagate » a pris une telle ampleur, ce n’est ni parce que les médias s’ennuient l’été ni parce que l’opposition, jusque-là très faible, n’attendait qu’une occasion pour s’en prendre à Emmanuel Macron et son prétendu nouveau monde. C’est parce qu’il y a en réalité quatre affaires Benalla, emboîtées les unes dans les autres telles des poupées russes. En se combinant, elles forment un ensemble explosif.
Quatre affaires
La première affaire est la scène violente de la place de la Contrescarpe. Un homme casqué agrippe par le cou et frappe un homme déjà maîtrisé par les forces de l’ordre. Les témoins de l’affaire se récrient en vain. En soi, cet épisode est un scandale, qui légitime les discours dénonçant la violence démesurée contre les manifestants.
La seconde affaire est l’usurpation de fonctions. L’homme qui frappe n’est pas policier. Il n’est pas investi du droit d’exercer cette violence. Il porte un brassard de la police, et les forces de l’ordre le laissent faire. L’Etat de droit, fondement d’une démocratie, est donc remis en cause.
La troisième affaire est la découverte que cet homme, grisé par son propre pouvoir, est un collaborateur du président de la République. Qu’il existe au « château » des nervis au statut flou (Alexandre Benalla, mais aussi son copain Vincent Crase…), chargés d’opaques sinon basses besognes. On se croirait revenu au sale temps des barbouzeries orchestrées par le SAC gaulliste. Cette découverte fissure l’image d’Emmanuel Macron, qui a toujours insisté sur l’exemplarité et l’intégrité nécessaire à sa fonction. La communication présidentielle, jusque-là parfaitement lissée, a volé en éclat. Et l’on constate que le vieux monde, rance, est toujours bien là.
La quatrième affaire, peut-être la plus explosive, est la tentative manifeste d’étouffer le scandale. Aux Etats-Unis, depuis le Watergate, un proverbe politique dit : « It’s never the crime, always the cover up. » Ce n’est jamais le crime lui-même qui cause le scandale, ce sont les manœuvres pour le dissimuler… Cela s’est vérifié à de nombreuses reprises, notamment à l’occasion de l’affaire Monica Lewinsky sous Clinton, ou lors des justifications de la guerre en Irak, sous Bush junior.
Dans le cas du Benallagate, il est clair que l’Elysée a cherché à cacher ce qui s’était passé le 1er-Mai. Le parquet (contrairement à ce qu’impose l’article 40 du Code de procédure pénale) n’a pas été saisi. La brute a été légèrement sanctionnée, en catimini. Censé avoir été déchargé de ses fonctions de sécurité, on la retrouve lundi sur les Champs Elysées, dans le bus des champions du monde de foot…
Une énorme prise de risque
A ce niveau, on est au-delà de la clémence, on frise soit l’amateurisme, soit la complicité. Le plus étonnant, c’est que pour couvrir son homme, l’Elysée a pris un énorme risque : la scène de la Contrescarpe était filmée par plusieurs téléphones, et la probabilité qu’on finisse par reconnaître le visage d’Alexandre Benalla était très forte.
Dès l’apparition de la vidéo sur les réseaux sociaux, Emmanuel Macron aurait dû congédier Alexandre Benalla ; il ne l’a pas fait, mal lui en a pris. Dès la publication de l’article du « Monde » révélant l’affaire, il aurait dû réagir plus fortement encore, en s’exprimant, en limogeant Benalla, voire ses supérieurs hiérarchiques qui ont manifestement manqué de jugeote à son sujet. Il ne l’a pas fait, et l’affaire ne peut désormais que s’envenimer.
Pourquoi ce président, qui dès son arrivée n’avait pas hésité à virer le chef d’état-major des armées pour quelques mots critiques sur le budget de la Défense, a-t-il été incapable de se défaire d’un collaborateur instable traînant déjà plusieurs casseroles ? Pourquoi l’Elysée avait-il besoin de cet homme, alors qu’il existe un service officiel pour cela, le Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) ? Quelle était la relation exacte entre le candidat-puis-président Macron et cet homme qui le suivait comme son ombre ? En ne traitant pas cette affaire comme elle aurait dû l’être, l’Elysée a ouvert la boîte des mille questions légitimes, mais forcément embarrassantes.
Source : nouvelobs.com