Des Andes à l’Afrique en passant par la Bulgarie, certaines civilisations appréciaient l’élongation des têtes. Explications.
On les croirait tout droit sortis d’un épisode de la série de documentaires « Alien Theory ». Leurs crânes font penser à la caricature du savant fou ou de l’extraterrestre hyper-évolué dont l’expansion du cerveau a nécessité une augmentation de sa boîte crânienne. Pourtant, les « crânes allongés » ont des explications, certes moins romantiques, mais tout aussi passionnantes, comme on l’a vu avec le cas du mini-squelette de l’Atacama, qui n’était pas un alien, mais une petite fille.
Des piercings aux élongations d’oreilles en passant par la chirurgie esthétique, on pourrait penser que les modifications corporelles sont un phénomène relativement contemporain. S’il est notoire que les tatouages remontent à la nuit des temps, d’autres pratiques moins connues ont elles aussi des racines diverses sur tous les continents. Effet de mode, distinction de caste, affirmation religieuse… les raisons sont aussi variées que les peuplades qui les adoptent.
Amérindienne au crâne allongé avec son enfant dans un « berceau » destiné à lui déformer également le crâne (peinture de Paul Kane en 1848). (Wikimedia Commons)
Les Mayas et les épis de maïs
Les exemples les plus connus de crânes allongés ont été retrouvés chez les Mayas. Cette civilisation d’Amérique centrale, qui s’étendait du Honduras au sud du Mexique, exhibe sur ses sculptures des oreilles élargies par des anneaux, mais aussi des têtes déformées et des costumes pour le moins créatifs. Licence artistique ? Pas du tout. Les Mayas étaient probablement la civilisation la plus sujettes aux modifications corporelles. Certains se faisaient incruster des pierres précieuses dans les dents, d’autres s’allongeaient le crâne.
Ces modifications étaient le fait des élites, le symbole de leur statut. Mais pourquoi ces crânes allongés ? Une explication possible vient du maïs, la plante qui constituait la nourriture principale des Mayas, symbole pour eux de renouveau.
« Comme un épi de maïs est long et étroit, se rétrécissant en pointe, ils altéraient la forme de leurs têtes pour refléter cette forme, en utilisant à la fois des méthodes permanentes et temporaires », analyse Cara Tremain dans le journal d’anthropologie « Totem ». Pour les méthodes permanentes, qui expliquent les crânes qu’on a pu retrouver, « une pression était appliquée sur le front depuis le plus jeune âge, pour altérer la forme du crâne avec le temps ». Le résultat était ce profil allongé que l’on peut voir sur certaines gravures anciennes.
Un outil de survie ?
Ce ne serait cependant pas les seules motivations de ces modifications corporelles. Selon une étude publiée dans « l’American Journal of Physical Anthropology » portant sur des chasseurs-cueilleurs vivant au sud de la Patagonie il y a 2.000 ans, la survie du groupe aurait pu être une autre raison.
En Patagonie, les chasseurs-cueilleurs vivaient en petits groupes qui devaient beaucoup se déplacer, dans une région où la nourriture était rare. Il leur était donc nécessaire d’établir des réseaux sociaux afin de savoir à qui faire (ou pas) confiance pour accéder à tel ou tel territoire de chasse.
« Avoir un crâne de forme bizarre montrait qu’ils avaient acquis l’information sur la manière de procéder par un autre groupe de confiance », explique Marta Alfonso-Durruty, de l’université du Kansas, co-auteure de l’étude. « C’était une stratégie sociale, qui permettait aux individus d’accéder aux ressources parfois imprévisibles sur un vaste territoire. »
Crânes de la culture Paracas, au musée régional d’Ica, au Pérou (Marcin Tlustochowicz / Wikimedia Commons )
Des fiancées venues de loin
Les Huns, le peuple d’Attila, est connu pour avoir pratiqué également l’élongation des crânes, de même que quelques-uns de leurs alliés. Selon certains chercheurs, ils auraient adopté cette pratique au contact d’autres peuples des steppes eurasiennes et du Caucase, pour qui c’était une tradition millénaire.
« Les parents emmaillotaient quelques mois la tête de leurs enfants avec des bandages après leur naissance pour obtenir la forme désirée », explique le docteur Michaela Harbeck, de la collection d’Etat d’anthropologie et paléoanatomie de Munich. « Il est difficile de dire pourquoi ils accomplissaient un tel processus élaboré, mais c’était probablement pour un certain idéal de beauté ou peut-être pour indiquer l’affiliation à un groupe. »
Après les invasions menées par Attila, au Ve siècle, les Huns se sont installés dans une partie de ce qui est aujourd’hui la Hongrie.
En fouillant plusieurs tombes des environs de l’an 500, des archéologues ont fait une découverte surprenante : des femmes aux crânes allongés, en Bavière, hors de la zone d’implantation hunnique. Des femmes des tribus d’Attila seraient-elles venues se marier en Allemagne ? Probablement pas.
Une équipe internationale emmenée par Krishna Veeramah, de la Stony Brooks University (Etats-Unis), a analysé le génome d’une quarantaine de personnes de cette région du sud de l’Allemagne. La plupart ont tout naturellement des origines d’Europe du Nord ou centrale. Mais parmi les corps, il y avait également des femmes aux crânes allongés, et leurs gènes ont montré qu’elles venaient d’ailleurs… et plus précisément du sud-est de l’Europe (Crimée, Serbie), là où l’on trouve le plus grand nombre de sépultures de personnes au crâne déformé mais aussi les plus anciennes en Europe.
Selon les auteurs de l’étude, ces femmes migrantes ressembleraient aux Turcs et aux Grecs modernes, très différentes des tribus germaniques de Bavière. Leur arrivée sur les terres germaniques pourrait s’expliquer par des alliances entre peuples de diverses parties de l’Europe, en ces temps troublés qu’était le début du Moyen-âge. Elle montre en tout cas que l’allongement des crânes était également pratiqué par des humains d’origines très diverses.
L’Afrique, l’Amérique… et Néandertal
Le peuple Mangbetu, qui vit aujourd’hui principalement au nord-est de la République démocratique du Congo, a dominé cette partie de l’Afrique centrale au 19e siècle. Chez eux, la coutume de l’élongation crânienne porte le nom de Lipombo, et marque l’appartenance aux classes supérieures de la société, un signe d’élégance à la cour royale. Pour obtenir une telle forme, on bandait les crânes des enfants dans des tissus serrés. Cette coutume aurait survécu jusqu’à la conquête du Congo par les Belges, qui en auraient interdit la pratique.
Femme Mangbetu (Kazimierz Zagórski, 1938 / Wikimedia Commons)
Loin de l’Afrique, on trouve aussi de telles pratiques chez des tribus amérindiennes du nord, ou encore chez des peuplades andines du Pérou et du Chili actuels.
Toujours au Pérou, la civilisation de Paracas, qui a duré de 1200 à 600 avant notre ère, se livrait également à l’allongement des têtes. Les crânes de Paracas sont d’ailleurs ceux qui ont généré le plus de théories « extraordinaires », probablement du fait de leur extrême déformation : certains évoquent des études ADN « prouvant » qu’il ne s’agissait pas d’Homo Sapiens, d’autres parlent (bien sûr) d’extraterrestres.
« Il n’y a rien d’inhabituel à propos de la culture de Paracas, à part la nature extrême de bandage de tête qu’ils pratiquaient », assure l’archéologue britannique Keith Fitzpatrick-Matthews. « Ils sont entièrement humains, chaque aspect de leurs crânes peut s’expliquer en termes de génétique et de culture (comme la déformation crânienne). »
Homo Sapiens n’a cependant pas l’exclusivité de l’élongation crânienne : on a aussi découvert de telles pratiques chez nos cousins néandertaliens, il y a 45.000 ans. Et les extraterrestres n’y étaient (encore) pour rien.
Source : nouvelobs.com