Le Premier ministre Viktor Orban a imposé un programme conservateur et nationaliste qui introduit le sexisme dans les programmes éducatifs nationaux et incite les femmes à rester au foyer et à faire des enfants.
Dans leur manuel scolaire de sciences naturelles, les collégiens hongrois apprennent désormais que « les garçons et les filles (…) n’ont pas les mêmes capacités physiques et aptitudes intellectuelles ». Et dans le livre destiné aux nouveaux cours de morale obligatoire, ils se voient avertis qu' »avoir des relations sexuelles hors mariage est un péché ».
Les écoliers rêvassent sur des illustrations qui réduisent la femme à son foyer, ils apprennent par cœur des poèmes et des chansons célébrant la mère traditionnelle, écoutent des histoires où l’épouse qui ne fait pas briller sa maison comme un sou neuf est punie par son mari.
« Les femmes sont bonnes pour la cuisine, leur rôle c’est de s’occuper de la maison et de faire des enfants. »
Voilà la vision de la femme que promeut le gouvernement conservateur et nationaliste du premier ministre Viktor Orban, résume la militante des droits des femmes Julia Spronz. Son ONG, PATENT, nage à contre-courant de la politique gouvernementale dans un climat de plus en plus hostile en promouvant l’égalité entre les sexes. Elle a ainsi créé un blog sur l’éducation sexuelle destiné aux ados pour contrecarrer la propagande des manuels scolaires. « Mais il devient de plus en plus évident que pour ce gouvernement les femmes sont inférieures aux hommes », accuse-t-elle.
Alors qu’à Bruxelles on a regardé avec effarement l’homme fort de Budapest piétiner la liberté de la presse et l’indépendance de la justice, on a moins prêté attention à son projet de redéfinition de la place de la femme. C’est pourtant un axe central de la société illibérale, bâtie sur des valeurs nationalistes et conservatrices, qu’il a entrepris de construire sur les marches orientales de l’Union européenne depuis son arrivée au pouvoir en 2011. Un programme au long cours qui a vraisemblablement encore de beaux jours devant lui, si l’on en croit les sondages le donnant vainqueur des élections législatives de ce dimanche.
Les femmes sont des mères
Il faut dire que sur ce sujet, Viktor Orban avance sans tambour ni trompette. Quasi sournoisement.
« Ce n’est pas comme en Pologne où cela a été très clair tout de suite. Cela vient pas à pas », remarque Julia Spronz.
Tandis que le retour en force des stéréotypes dans les manuels scolaires assure la formation des femmes de demain, celles d’aujourd’hui voient le périmètre de leurs droits se rétrécir progressivement. « Il ne fait pas changer les lois mais il multiplie peu à peu les obstacles », constate la militante.
L’avortement est un cas exemplaire de ce qui se passe en Hongrie. Sur le papier, il est toujours possible d’avorter. Mais il est désormais inscrit dans la « loi fondamentale » (qui a remplacé en avril 2011 la constitution) que « la vie humaine est protégée dès le moment de la conception ». Pour intimider les cliniques qui permettent les avortements médicamenteux, les autorités ont diligenté des enquêtes sur leurs activités. L’année dernière, le gouvernement a aussi annoncé qu’il débloquerait 7,8 milliards de forints pour l’Hôpital pour enfants de Bethesda et pour l’Hôpital de l’ordre des Hospitaliers à Buda… Deux institutions qui se sont engagées à ne plus pratiquer d’avortements. Relation de cause à effet ? C’est ce qu’affirment certains journalistes et militants. Et bien que Bruxelles autorise désormais la contraception d’urgence sans passer par la case médecin, elle n’est possible en Hongrie que sur prescription. Avorter revient à s’embarquer dans un parcours du combattant. Même les filles mineures enceintes sont maintenant incitées à conserver leur enfant : elles n’ont pas besoin de l’accord des parents pour le garder… mais elles en ont besoin pour avorter.
Dans la Hongrie de Viktor Orban, la femme est reléguée au statut de mère et les politiques d’égalité des sexes sont abandonnées au profit de la promotion de la famille traditionnelle. « Il y a une véritable hystérie sur la question de l’égalité des sexes », remarque Gyorgyi Toth, de l’ONG NANE. Sur les bords du Danube, la chasse aux « gender studies » (les études sur le genre) est ouverte, symptomatiques aux yeux des conservateurs de Budapest des valeurs « dégénérées » du monde libéral de l’Europe de l’Ouest. En juin dernier, lorsque nous avions abordé le sujet avec le porte-parole du gouvernement hongrois Zoltan Kovacz, il avait tapé à coups redoublés sur les universités (comme la CEU fondée par le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros et contre lequel le pouvoir a déclaré la guerre), où l’on « apprend que l’immigration illégale ou les “gender studies”, c’est bien. »
C’est même en raison de ce concept honni d’égalité des sexes que la Hongrie renâcle à ratifier la Convention d’Istanbul (Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique). Interpellé sur cette question sur la chaîne NTV, Szilárd Németh, le vice-président du Fidesz, le parti au pouvoir, avait répondu en décembre dernier : « C’est le genre de convention qui incorpore des messages issus tout droit du monde communiste attaquant le modèle traditionnel de la famille, qui essaie en quelque sorte de transplanter la philosophie du genre (dans nos sociétés, ndr) et nous ne pourrons jamais soutenir cela. »
Viktor Orban le macho
Mais pourquoi ce gouvernement s’acharne-t-il ainsi sur les femmes ? La première explication qui vient à l’esprit est celle-ci : « Notre Premier ministre lui-même est un macho ! », avance Julia Spronz. Viktor Orban n’a en effet pas une haute opinion du deuxième sexe. Lors d’une conversation informelle avec des étudiants en 2015 (dont le site 444.hu a publié un compte rendu), il avait répondu à une élève, qui lui demandait pourquoi les femmes étaient si peu présentes dans la politique hongroise, que cette dernière reposait sur un « assassinat continu » qui crée des situations brutales que « les femmes ne peuvent pas supporter. »
Résultat de cette philosophie machiste, les femmes se font extrêmement rares au parlement et au gouvernement. Un rapport publié en février par le Lobby des Femmes Hongroises (Hungarian Women’s Lobby) et les associations NANE et PATENT constate qu’il n’y a tout bonnement pas de femmes ministres dans le gouvernement actuel. Elles ne représentent que 13% des secrétaires d’Etat et 10,1% des députés. Dans un rapport d’une mission onusienne de mai 2016, la présidente du groupe de travail Frances Raday s’en était émue :
« Les stéréotypes omniprésents et flagrants, y compris chez certains dirigeants politiques, présentant les femmes comme inadaptées au pouvoir politique et l’insistance sur le rôle de la femme comme principalement épouse et mère, sont extrêmement alarmants. »
Même son de cloche du côté de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen qui, après sa visite en Hongrie du 12 au 14 février dernier, avait écrit dans son rapport : « Nous sommes très préoccupés par le fait que l’engagement civique des femmes soit délibérément miné, voire criminalisé. »
Liste noire
Parmi les nombreuses publicités anti George Soros qui s’affichent dans les rues de Budapest depuis qu’il est devenu l’ennemi à abattre du gouvernement hongrois, on pouvait apercevoir l’an dernier une caricature antisémite du philanthrope représenté devant une meute de chiens en furie à l’effigie des directeurs d’ONG hongroises prêts à se jeter sur une famille aux cheveux blonds. Le directeur de PATENT, l’ONG de Julia Spronz, faisait partie des chiens. Depuis 2013, cette association figure sur une liste noire des ONG considérées comme ennemies du pays par le gouvernement. Les intimidations et pressions de toutes sortes sont constantes. « On a été l’objet d’investigations ces dernières années car on était financé par le fonds norvégien pour la société civile. Ça a été très éprouvant, on a dépensé beaucoup de temps, d’énergie, d’argent à leur prouver qu’on n’avait rien à se reprocher », raconte la militante.
Le Lobby des femmes figure aussi sur la fameuse liste noire et a également été la cible d’enquêtes. « Par les médias, on a appris que nous étions soupçonnés de financer des partis d’opposition, ou au moins de les aider, ou d’être des agences étrangères servant les intérêts d’autres pays », raconte la militante Reka Safrany. Depuis l’année dernière, les ONG financées par des fonds étrangers à partir d’un certain seuil sont obligées de s’enregistrer. Gyorgyi Toth, qui a vu l’association Nane, où elle est volontaire, également visée, s’inquiète de l’avenir qui leur est réservé :
« La grande question, c’est : que va-t-il se passer après l’élection ? La législation en préparation sur les ONG, qui est très similaire à celle en vigueur en Russie, permet de poursuivre n’importe quelle ONG sous prétexte qu’elle œuvrerait contre la Hongrie… »
Le gouvernement a prévu toute une panoplie de mesures qui va lui permettre de faire le grand ménage. Par exemple, pour travailler, il faudra qu’au moins la moitié des financement reçus par l’organisation proviennent de personnes résidant en Hongrie. De quoi raser de la carte un paquet d’associations de défense des droits des femmes.
En même temps que les autorités hongroises s’emploient à faire disparaître les ONG qui les empêchent de tourner en rond, elles favorisent leur remplacement par des « GONGOs », (government-organized non-governmental organization) comme on appelle ironiquement les ONG… soutenues par un gouvernement. « Ce sont des ONG, souvent liées aux églises, qui ont une base idéologique plus acceptable pour le gouvernement Orban », explique Reka Safrany, du Lobby des femmes. Elle cite l’exemple de Ficsak, une organisation, fondée par l’ex-adjoint au maire du district de Budapest, qui travaille sur l’équilibre travail/vie de famille « pas franchement avec la même conception des choses que nous. »
Pour la survie de la nation
Pour la chercheuse Andrea Peto, professeur de « gender studies » à la Central European University (CEU) de Budapest, nul doute que « tous les discours sur George Soros, les migrants et le genre visent à accroître le sentiment d’insécurité, afin que l’État puisse intervenir et se positionner comme le sauveur du peuple. » Le mantra officiel est en effet on ne peut plus anxiogène : la mère hongroise qui procrée est célébrée comme la clé de la survie de la nation, menacée de déclin par son faible taux de natalité et de « grand remplacement » par les migrants. A contrario, le modèle de la femme libérée qui travaille et n’a pas d’enfant est perçu comme un danger existentiel.
On comprend mieux alors pourquoi le Conseil pour des Chances Égales entre Hommes et Femmes – la plus haute instance en matière d’égalité des genres – n’a pas tenu d’assemblée depuis 2010, et pourquoi son portefeuille a été délégué à une institution en charge de la… démographie (Demographic Roundtable). Comme l’a si bien analysé le chercheur bulgare Ivan Krastev, la « panique démographique » est un axe majeur du logiciel des pays d’Europe de l’Est.
Le groupe de travail des Nations Unies sur la discrimination à l’égard des femmes dans la loi et la pratique ne s’y est pas trompé. Dans son rapport sur la Hongrie de 2017, il s’inquiète d' »une forme conservatrice de la famille dont la protection est considérée comme essentielle à la survie nationale. » « La politique identitaire du gouvernement hongrois est basée sur les femmes en tant que mères, conclut la chercheuse Andrea Peto. Et leur rôle de protectrices a été étendu à la nation en tant que telle »… Voilà à quoi se résume le « pouvoir » des femmes en Hongrie.
Source : nouvelobs.com