La rencontre qui s’est tenue vendredi 20 juillet à l’Elysée entre le président de la République et les premiers responsables des syndicats paysans a été escamotée dans les médias par l’affaire Benalla. Le président Macron entendait calmer les inquiétudes du monde agricole à propos du contenu de la loi qu’il avait promis de faire voter par le Parlement lors de son discours de Rungis le 17 octobre 2017. Alors que le texte pouvait être voté en juillet après le compromis intervenu entre les députés et les sénateurs, la majorité LaREM de l’Assemblée nationale a fait capoter ce compromis et repoussé à plus tard de vote de la loi dans le but de la rendre encore plus défavorable au monde paysan lors des discussions annuelle des prix entre les distributeurs et leurs fournisseurs.
L’Elysée n’a pas communiqué sur le contenu de la rencontre que le président de la République et plusieurs membres du gouvernement ont eu vendredi dernier avec les syndicats agricoles. Mais on sait qu’elle visait à calmer les inquiétudes de la profession concernant la loi dit « EGALIM », visant à mieux partager la valeur ajoutée des produits que nous consommons entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. A Rungis, le 17 octobre 2017, Emmanuel Macron avait notamment déclaré : « Nous vivons, en effet, dans un pays où les agriculteurs ne peuvent plus vivre du juste prix payé (…) Je souhaite donc que nous mettions un terme très clair à cette dérive (…) Nous modifierons la loi pour inverser cette construction des prix qui doit pouvoir partir des coûts de production ». Voilà qui semblait traduire une volonté politique, en dépit de quelques ambigüités de langage.
Qu’en est-il vraiment à ce stade du débat parlementaire ? Selon le communiqué de la Confédération paysanne publié à l’issue de la réunion à l’Elysée, le président de la République s’est engagé « à faire pression sur les interprofessions pour obtenir que ce projet de loi a dénié garantir aux paysans. Cela s’apparente à un enterrement de l’ambition contraignante du volet économique que nous réclamions. En effet, Emmanuel Macron va demander aux industriels et à la grande distribution de prendre en compte dans les indicateurs interprofessionnels les coûts de production. A défaut, il brandira deux menaces : l’abandon du relèvement du seuil de revente à perte et une hypothétique remise en cause des filières ».
Se fournir sur le marché mondial
On ne voit guère ce qui peut faire peur aux distributeurs et aux firmes de l’agroalimentaire via ces menaces prononcées en lieu clos quand les députés du groupe LaREM ont été incités par le gouvernement à donner des marges de manœuvres aux distributeurs, comme aux transformateurs pour ne pas être tenus « d’inverser cette construction des prix qui doit pouvoir partir des coûts de production ». C’est aussi ce que redoute, la Coordination rurale, un autre syndicat minoritaire qui rappelle dans un communiqué que « la loi ne propose dans les contrats qu’une simple référence à ces indicateurs, autant dire rien de très concret à mettre dans la poche des agriculteurs ». Ce syndicat ajoute que « rien n’obligera les acteurs de la filière à mieux rémunérer les agriculteurs. Les acheteurs des produits agricoles pourront se fournir sur le marché mondial moins-disant au niveau qualitatif et surtout moins cher pour eux », poursuit ce syndicat. Egalement présents à cette réunion, le syndicat Jeunes Agriculteurs et la FNSEA n’ont pas publié de communiqué à son issue. Mais l’un et l’autre avaient fait part de leur déception suite au coup tordu du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale.
Quand les prairies se transforment en paillassons
Le report de cette loi, déjà passablement dévitalisée, arrive au moment où les coûts de production du lait et de la viande sont en train de grimper tandis que la moisson des céréales à paille et du colza ne donne pas les rendements espérés suite aux coups de chaleur de la fin du printemps et du début de l’été. Avec la chaleur du mois de juillet, les prairies se transforment en paillassons du nord au sud du pays et d’ouest en est. Faute d’herbe, il faut donner du foin aux vaches, aux brebis et aux chèvres laitières, mais aussi davantage d’aliments composés dans lesquels entrent les tourteaux de soja importés. Voilà comment le manque d’herbe augmente le prix de revient de chaque litre de lait comme de chaque kilo de viande pour les herbivores en phase d’engraissement pour la boucherie.
En quatre mois le prix du lait a baissé de 8%
C’est dans ce contexte de difficultés accrues pour les éleveurs que les députés de la majorité ont été invités à rendre inefficace la loi promise l’an dernier par le nouveau président de la République. Encore une version du « en même temps » qui vise toujours à moins donner à ceux et celles qui travaillent afin de mieux servir ceux qui profitent du travail des autres. Ainsi, selon une récente étude de l’Observatoire européen du marché laitier, le prix moyen du litre de lait au départ de la ferme dans les pays européens n’était que de 32,6 centimes d’euros le litre an avril, soit une baisse de 8% sur les quatre premiers mois de l’année. En France il a encore baissé depuis pour se situer autour de 30 centimes le litre alors que les coûts de production sont en train de monter sensiblement depuis des semaines en raison de la sécheresse. Pour mémoire, le prix moyen du litre de lait en France était de 37 centimes le litre en 2014, dernière année des quotas laitiers par pays qui permettait de maîtriser la production.
S’agissant des céréales, la légère augmentation des prix mondiaux depuis deux ou trois semaines ne compensera pas la chute des rendements estimée à moins 10% en France par rapport à 2017. D’autant que le stock de fin de campagne provenant de la récolte de 2017 est en hausse, à 3 millions de tonnes en France pour le blé tendre. Il en sera de même pour l’orge avec 1,7 millions de tonnes et aussi pour le maïs avec 2,9 millions de tonnes en raison des difficultés d’exportation dans l’Union européenne comme en direction des pays tiers. Tout indique donc que les comptes d’exploitation vont continuer de se dégrader en France en cette année 2018 après les trois années difficiles que furent 1995, 1996 et 1997. Ruiner les paysans c’est aussi affaiblir notre souveraineté alimentaire. Voilà pourquoi le sujet concerne tous les Français et pas seulement les producteurs agricoles.
Source : humanite.fr