Alors que le réseau social créé par Mark Zuckerberg traverse une crise sans précédent, j’ai téléchargé mes archives personnelles pour évaluer la somme d’informations recueillies par Facebook à mon sujet.
Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez le soir du vendredi 28 septembre 2007 ? Moi oui : je faisais la fête pour ma soirée d’intégration à Sciences Po Aix-en-Provence au TNC, une boîte de nuit qui a fermé depuis. La soirée n’était guère mémorable et je ne suis pas hypermnésique : j’ai simplement consulté les données envoyées à Facebook depuis la création de mon compte, il y a bientôt onze ans.
Alors que le réseau social traverse une crise sans précédent après les révélations de l’utilisation indue des données personnelles de millions d’utilisateurs par une société liée à la campagne de Donald Trump, j’ai voulu savoir ce que Facebook savait de moi. La démarche n’est pas compliquée : depuis un ordinateur, il suffit de cliquer sur la flèche située dans le coin supérieur droit de l’écran, de se rendre sur la page « Paramètres », puis de cliquer sur « Télécharger une copie de vos données Facebook ».
Après quelques minutes, Facebook m’a envoyé un e-mail permettant de télécharger un fichier de 507 mégaoctets renfermant onze années de textes, de sons, de photos, de vidéos… et pas mal de malaise. Voici ce que j’y ai trouvé.
Un résumé de ma vie (y compris amoureuse)
En ouvrant le fichier index.html qui se trouve dans le dossier, j’atterris sur une page épurée résumant l’ensemble des données qui me concernent directement. J’apprends ainsi que j’ai créé mon compte le 28 mai 2007 à 22h13 (mes soirées devaient être trépidantes), je retrouve les adresses e-mail liées à mon compte, mon numéro de téléphone, ma date de naissance, mais pas mon adresse postale, que je n’ai jamais renseignée, pas plus que mes opinions politiques.
Le premier frisson de gêne arrive un peu plus bas. A la ligne « Relations précédentes », se trouve le nom d’une ex-petite amie. Je m’agace contre le Vincent d’il y a onze ans, qui s’enthousiasmait à l’idée d’exhiber son statut amoureux. Facebook n’a pas oublié non plus la blague (pas très drôle avec le recul) de ma fausse histoire d’amour avec un ami. Je me console en me félicitant de ne pas avoir répété l’erreur.
Suivent un résumé de mes activités professionnelles depuis 2007 (est-ce bien le lieu approprié ?), ainsi qu’une liste des artistes dont j’ai « aimé » la page qui fleure bon les années 2000 (j’aimais vraiment tant que ça les White Stripes ?). Même topo pour les séries (je suis à peu près sûr que Lost a très mal vieilli), les films (c’est vrai qu’il était pas mal, ce docu sur Georges Frêche) et les pages diverses (tiens, je « like » Facebook sur Facebook).
Soulagement immense : je ne fais visiblement partie d’aucun de ces groupes à l’intitulé douteux qui fleurissaient à l’époque (« Si ce groupe atteint six milliards de personnes, tout le monde sera dedans » et autres « Je préfère une tartine au brie que Martine Aubry »). Bon sens de ma part ? Pas sûr : à partir d’octobre 2010, Facebook a remplacé ces groupes-slogans par des communautés, le plus souvent fermées. Certains d’entre eux se sont transformés en pages (comme « Si ton prénom commence par : A C D F H I J K L M S T », qui compte 92 000 abonnés), mais la plupart ont lentement disparu de la surface du réseau.
Le nom de mes amis (et leurs coordonnées)
L’onglet « Amis » du fichier est plus sympathique. Il liste de façon très sobre les noms de mes 732 contacts Facebook, ainsi que la date à laquelle nous nous sommes mutuellement ajoutés. Plus surprenant, il permet aussi de consulter les demandes refusées depuis onze ans, ainsi que les contacts supprimés au fil des années. Dans le même genre, il y a la surprenante rubrique « Poke », qui répertorie ces tapes virtuelles tombées dans l’oubli.
Je craignais le pire en cliquant sur l’onglet « Coordonnées ». Je n’ai pas été déçu. Sur 1 382 lignes s’étalent, souvent en doublon, les adresses e-mail et numéros de téléphone de tous mes contacts. Tous. Y compris ceux qui ne sont pas mes amis sur le réseau social. De l’ancienne adresse Hotmail ridicule utilisée par un de mes proches à la fin des années 2000 au portable d’un attaché de presse contacté dans le cadre d’un article : tout semble y être. Je culpabilise en pensant à ma grand-mère qui ne possède ni smartphone ni ordinateur : que dirait-elle si elle savait que son numéro se balade dans les serveurs d’un des géants de la Silicon Valley ?
Après une inspection plus poussée, je m’aperçois que les coordonnées des personnes que j’ai rencontrées ces deux dernières années manquent à la liste. Tout s’éclaire : alors que j’avais synchronisé les contacts de mon ancien téléphone avec l’application Facebook, j’avais pris soin de ne pas réactiver cette option avec mon nouvel appareil.
Un peu penaud, je cherche un moyen de réparer les dégâts en supprimant ces numéros des serveurs de Facebook. Direction les pages permettant de visualiser les contacts importés via l’application Facebook et via la messagerie instantanée Messenger. Je m’empresse d’en supprimer les données. Facebook essaie de m’en dissuader en m’indiquant que cela rendra les suggestions d’amis moins pertinentes, mais cela ne m’empêchera pas de dormir.
Mais pas sûr que ce soit vraiment utile puisque 261 de mes contacts ont importé leur propre répertoire sur les serveurs du réseau social. Difficile de tous les contacter pour les inviter à m’imiter.
Les lieux où je me trouvais
Facebook n’a pas oublié les dizaines d’invitations à des événements plus ou moins intéressants reçues depuis onze ans. Grâce aux données stockées dans ses serveurs, j’apprends que j’ai participé à une « journée calanque » à l’été 2010, à une « Mad Men Party » (ne me jugez pas) à Aix-en-Provence début 2011, ou encore à une « December suburb party » à Aubervilliers à l’hiver 2015. Bien.
Mais mes archives personnelles ne s’arrêtent pas là. Comme je m’y attendais, le dossier contient l’intégralité des photos et des vidéos publiées sur mon profil. Et Facebook a soigneusement consigné les métadonnées contenues dans celles-ci. Voici par exemple ce que je retrouve sous le cliché de ma première carte de presse, que je trouvais indispensable de partager en septembre 2012.
Outre les innocentes informations sur la sensibilité ISO et l’exposition de la photo, les coordonnées GPS et l’adresse IP de mon iPhone de l’époque permettent de me localiser avec précision. Gloups. Ces adresses IP, véritables numéros d’identification de chacun de mes appareils connectés à internet, se trouvent également dans l’onglet « Sécurité ». Facebook a visiblement gardé en mémoire chacune de mes connexions depuis février 2017, en plus de chaque appareil utilisé pour accéder aux réseaux depuis juillet 2013.
Ce que j’ai dit à mes amis
Télécharger ses données permet aussi de retrouver en un clin d’œil les tout premiers messages postés sur son profil ou dans des conversations privées. Dans mon cas, cela sert surtout à me plonger dans des abîmes de malaise. Je l’avoue : lors de mes premiers mois sur le réseau, quand il n’était pas encore traduit en français, mon moi de 19 ans écrivait des statuts en anglais alors que 100% de mes amis étaient francophones. La honte.
Même topo du côté des conversations privées : là où remonter le fil d’une conversation entamée il y a dix ans prendrait des lustres, trois clics depuis l’onglet « Messages » situé dans les archives permettent de retrouver les premiers messages échangés sur « Facebook Chat », devenu « Messenger », avec un de mes meilleurs amis. Avec, là encore, pas mal de gêne.
Une autre expérience assez vertigineuse consiste à utiliser l’explorateur de fichiers pour trouver toutes les photos échangées dans ces conversations privées, rassemblées dans un seul dossier (et dont je préfère vous épargner un extrait).
Mon profil publicitaire et les marques qui disposent de mes coordonnées
Les onglets « publicités » et « applications » ne sont pas moins flippants. Le premier dresse mon profil publicitaire en fonction des pages que j’ai « aimées » et d’autres critères qui m’échappent. Le résultat est d’une pertinence variable : pour Facebook, je suis intéressé par les jeux vidéo (d’accord), le marketing (ah bon ?), la réunion du G20 (je n’y pense pourtant pas si souvent), les abeilles (heu…) ou encore les pieds nus (tout cela devient vraiment bizarre).
J’y trouve aussi le récapitulatif des huit dernières publicités sur lesquelles j’ai cliqué, ainsi que la liste des annonceurs qui ont accès à mes coordonnées. Pas de surprise pour certains : je possède une PlayStation, j’ai sans doute dû avoir un vieux compte qui traîne sur vente-privee.com et j’ai déjà utilisé Airbnb et Uber. D’autres me rendent plus circonspect : je n’ai jamais mis les pieds chez Best Buy, sorte de Darty américain, et je ne suis pas davantage client de Sally Beauty, qui se présente comme « le plus grand vendeur de produits de beauté au monde ».
L’explication m’est donnée par le Wall Street Journal (article payant) : certaines applications pour smartphones qui affichent de la publicité sont reliées à un identifiant unique associé à mon téléphone et qui sert là aussi à me proposer de la pub ciblée. Or, Facebook utilise cet identifiant, ce qui lui permet de prendre en compte mon comportement dans ces applications tierces pour affiner les publicités affichées lorsque je m’y connecte. L’article m’apprend qu’il est possible de limiter ce suivi sur Android en se rendant dans Paramètres > Google > Annonces > Désactiver personnalisation des annonces, et sur iOS en allant dans Réglages > Confidentialité > Publicité > Suivi publicitaire limité. Ce que je m’empresse de faire.
Retour à mes archives. L’onglet « applications », qui recense tous les sites internet et programmes à qui j’ai accordé l’accès à certaines données de mon compte Facebook, me donne le tournis. Je pensais avoir fait le ménage, mais plus de 80 applications continuent de pouvoir piocher dans mes informations. A la lumière du récent scandale autour de l’entreprise Cambridge Analytica, je décide de retourner illico me débarrasser du superflu. Si vous voulez faire comme moi, suivez le guide préparé par mon collègue Thomas Baïetto. A noter tout de même que certains services peuvent garder vos données dans leurs propres serveurs, même si vous supprimez leur application de Facebook, relève Business Insider.
Et même ce que je fais ailleurs sur internet
Et si, pour éviter que ma vie puisse être utilisée à ce point, je supprimais mon compte Facebook, comme l’a recommandé Brian Acton, le créateur de WhatsApp (qui a été racheté par Facebook en 2014) ? C’est une piste, mais malheureusement, le réseau social ne me laisserait pas tranquille pour autant.
Même sans compte, Facebook pourrait continuer à étudier mon comportement en ligne grâce aux cookies. Ces petits fichiers, qui s’installent sur nos appareils lorsque nous visitons des sites web, servent à mémoriser certaines informations ou à nous reconnaître lorsque nous visitons à nouveau le même site. Or, Facebook utilise un cookie, baptisé datr, qui lui permet d’être alerté dès que je visite un site internet comprenant un module social, comme le fameux bouton « j’aime ». Et cela, que je possède un compte ou pas. L’utilisation de datr a valu à Facebook des ennuis avec la justice belge, ainsi qu’une amende en France, notait Le Monde en mai 2017. Ce qui n’a pas empêché le réseau social de continuer à utiliser ce cookie, qui lui sert également, selon Facebook France, à « stopper environ 400 000 tentatives non autorisées visant à prendre le contrôle de comptes personnels chaque jour ».
Pour certains utilisateurs, plonger ainsi dans plus de dix ans d’activité numérique peut faire l’effet d’une madeleine de Proust. Pas pour moi : je ne me reconnais plus dans ces publications et ces vieilles discussions. Malheureusement (et je n’en suis pas franchement étonné), Facebook ne propose rien pour effacer automatiquement les anciens messages après une période définie. La seule solution officielle consiste à passer en revue, dans mon historique personnel, chacune de mes publications, année par année, et de les supprimer une par une. Ou d’utiliser un programme tiers sur votre navigateur, comme l’explique Slate (article en anglais), pour automatiser cette tâche fastidieuse. Je vous laisse choisir. Pour ma part, je vais supprimer toutes mes anciennes publications, jusqu’à arriver à l’époque où j’ai commencé à ne plus mettre grand-chose sur Facebook… et sérieusement envisager de vivre dans une grotte sans Wi-Fi.
Source : France Info