« Rue Mulliez » : À Estaimpuis, « il n’y a plus que des Français ! »

« L’Angle éco » du 20 avril 2015 ( sic ! ) se penche sur le grand bazar fiscal. Le ras-le-bol pousse certains à quitter la France, mais ils ne vont pas toujours très loin… En Belgique, Estaimpuis, qui a accueilli Gérard Depardieu en 2012, compte aujourd’hui plus de 30% de Français. Reportage.

La frontière est presque invisible. D’un côté, Toufflers, petite ville du nord de la France. De l’autre, Néchin, un village belge désormais célèbre. Rien ne semble différencier ces deux communes. Si ce n’est, peut-être, la fiscalité. C’est ici, dans la commune d’Estaimpuis, que l’acteur Gérard Depardieu a posé ses valises il y a deux ans. Entre autres, “pour échapper à la fiscalité française”, avait alors reconnu le maire de la commune, Daniel Senesael. Ici, habitants comme politiques le disent volontiers : le comédien est loin d’être le premier contribuable à passer de l’autre côté de la frontière.

La rue de la reine Astrid ou « la rue des Mulliez ».

“Il n’y a plus que des Français ici !”, plaisante Daniel Gaeremynck au café Le Relais, situé à l’entrée de Néchin. “Vous voyez, toutes les grandes maisons sur la droite ? Elles appartiennent aux Français”, poursuit en riant son voisin de table. À 10h30 du matin, le café est déjà bien animé. Plusieurs clients racontent, sourire en coin, avoir déjà croisé Gérard Depardieu. “On a discuté, on a pris quelques photos… Mais il n’a pas payé de verre !” plaisante l’un d’entre eux. Venir à Néchin pour raisons fiscales ? “Il a raison !” réagit un client français qui, lui aussi, aimerait s’installer en Belgique.

Au Relais, pas de polémique. L’arrivée de Français comme l’acteur fait simplement sourire. Ce bistro, où se croisent chaque jour des Français vivant de part et d’autre de la frontière, se situe à l’entrée de la rue de la Reine Astrid, mieux connue sous le nom de “rue des Mulliez”. Elle est surnommée ainsi pour la dizaine de propriétés qu’y détiennent les membres de la famille Mulliez, aujourd’hui troisième fortune de France.

Adeline Lecocq est presque voisine des Mulliez. Elle raconte les changements qu’elle a observé dans la rue pendant son enfance. “Les constructions de grandes maisons ont commencé au début des années 2000”, évoque-t-elle. “Mon grand-père, qui a toujours vécu dans les environs, nous disait qu’avant, ce n’était que des champs !”

Plusieurs propriétés sont en cours de construction rue de la Reine Astrid, là où vit une partie de la famille Mulliez. (Estaimpuis, Belgique). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCE 2)

Au fil de la rue, plusieurs maisons affichent “à acheter”. Quelques propriétés individuelles sont en cours de construction. Un Français, résidant non loin de là, raconte les raisons de son arrivée. “C’était un choix personnel qui, fiscalement parlant, n’est pas désagréable” reconnaît-il. Absence d’impôt sur la fortune, exonération de certaines plus-values… Cet habitant parle d’une fiscalité sur le patrimoine “beaucoup plus avantageuse” en Belgique.

>> La famille Mulliez, première fortune de France, première dans la fraude fiscale !

En dix ans, ce n’est pas seulement Néchin mais toute la commune d’Estaimpuis qui a bien changé. L’agence immobilère de Jean-Michel Reheul n’a jamais connu de baisse d’activité. “C’est probablement grâce à la frontière”, reconnaît l’agent immobilier, qui compte parmi ses clients plus d’un tiers de Français. Parmi eux, il évoque des personnes cherchant à fuir l’impôt de solidarité sur la fortune, mais surtout des fonctionnaires, attirés par un immobilier moins cher et une fiscalité locale avantageuse.

Beaucoup d’entre eux ne sont que résidents en Belgique : ils continuent de travailler en France, ce qui leur évite de payer l’impôt sur le revenu belge, plus élevé qu’en France. Domiciliés en Belgique, ils ne payent également ni la contribution sociale généralisée (CSG), ni la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). L’impôt foncier est également moins élevé, précise Jean-Michel Reheul.

Sophie Leulliette a ouvert une galerie d’art à Estaimbourg (Belgique). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCE 2)

Sophie Leulliette et son mari, tous deux salariés français, ont quitté Roubaix en 2006 pour s’installer à Estaimbourg, une autre commune d’Estaimpuis. Ils cherchaient une maison où ils pourraient ouvrir une galerie d’art, ce qu’ils ont fait quatre ans plus tard. L’immobilier, moins cher dans cette région belge, a été la première raison de leur départ. C’est en arrivant qu’ils se sont rendus compte des bénéfices fiscaux que cela impliquait. “Je ne paye plus la CSG ou la CRDS, ce qui fait un gain de 150 à 200 euros par mois”, explique l’enseignante. “Mes parents, qui vivent en France, payent deux à trois fois plus d’impôts fonciers que nous”. Dans sa galerie installée au rez-de-chaussée de sa maison, Sophie Leulliette raconte qu’elle accueille souvent des visiteurs français s’intéressant à la possibilité de s’installer en Belgique.

Les français doivent payer un impôt communal.

Christian Hollemaert, adjoint au maire en charge des finances, le reconnaît volontiers. Selon lui, la part de Français résidant à Estaimpuis est passée de 27% à 31% en cinq ans. Certains viennent d’abord pour l’impôt - “c’est humain !”, sourit l’adjoint - mais d’autres raisons comme l’immobilier ou “la sécurité” entrent en jeu. D’autant plus que depuis 2008, les Français résidant à Estaimpuis doivent payer un impôt communal, qui rapporterait autour de 300 000 euros par an à la commune. “Cela n’a pas du tout plu à certains résidents français”, se souvient Christian Hollemaert.

Christian Hollemaert, adjoint au maire en charge des finances (Estaimpuis, Belgique). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCE 2)

Mais à Estaimpuis, l’arrivée de Français pour raisons fiscales est rarement critiquée. Beaucoup prennent la défense de Gérard Depardieu, vivement dénoncé par le gouvernement français lors de son départ pour la Belgique. “On l’accable de tous les maux, mais c’est un plus pour la région”, lance Jean-Marie Vanderhoose au café de l’Amitié, un bistro situé dans le centre de Néchin.

Un voisin célèbre: Gérard Depardieu

Derrière le bar, on repère une photo dédicacée du comédien, soigneusement accrochée au mur. Dans ce café, la venue de l’acteur est plutôt perçue comme une fierté. Comme au Relais, certains habitués du bistro racontent l’avoir déjà croisé. “Il est sympa !” sourit Jean-Marie Vanderhoose. “D’autres profitent du système et ne disent rien”, poursuit son ami Jean-Louis François.

Une fois sorti du centre, les passants se font rare rue Albert Ier et rue des Combattants. Ces deux longues rues ont elles aussi leur lot de grandes propriétés. Parmi elles ? La “Villa White Cloud”, cette fameuse maison d’hôtes achetée par Gérard Depardieu en 2013. Marc Hubaut, boucher à Néchin depuis 20 ans, travaille en face de la Villa. “Il vient dire bonjour quand il passe à Néchin !” raconte-t-il à propos du comédien. “On le voit une fois par mois environ”.

Marc Hubaut, boucher depuis 20 ans, vend des vins de Gérard Depardieu dans sa boucherie, située en face de la maison d’hôtes du comédien.Néchin (Belgique). (VALENTINE PASQUESOON / FRANCE 2)

Dans sa petite boucherie, les vins de Gérard Depardieu sont fièrement exposés sous des portraits de l’acteur-viticulteur. Marc Hubaut vend une dizaine de ses vins, tous présentés à l’entrée du commerce. Impossible de les manquer. Le boucher prend lui aussi la défense du comédien. “Pour moi, c’est un peu normal ce qu’il a fait. On l’accuse, mais beaucoup l’ont fait avant lui”.

Source : France Info