Pour limiter le réchauffement global, l’homme va-t-il finir par agir globalement sur le climat ? À l’heure où les politiques de réduction des émissions à effet de serre patinent, l’idée de manipuler le climat à l’échelle de la planète est aujourd’hui prise scientifiquement très au sérieux. À preuve les deux grands projets que nous vous présentons, l’un visant à sulfuriser l’atmosphère, l’autre à alcaliniser les océans.D’après les simulations, ces solutions dites de « géo-ingénierie » seraient efficaces. Oui, mais des modèles à la réalité, il y a un monde. Il y a l’homme jouant avec le feu…
C’est un sujet que les climatologues bon teint n’avaient jusqu’ici pas voulu aborder. Un sujet trop sulfureux, réservé à une poignée d’ingénieurs et de chercheurs un peu farfelus capables de lancer en pleine réunion : « Donnez-moi un demitanker de fer et je vous ferai un âge glaciaire ! »
Ces personnages - souvent de mèche avec l’industrie pétrolière - défendent depuis une vingtaine d’années un projet simple, voire simpliste : manipuler le climat terrestre pour mettre fin au réchauffement en cours. Autrement dit, refroidir artificiellement la Terre. Le tout avec des méthodes assez délirantes qui semblent relever de la science-fiction, sinon de calculs de coins de table ou de fins de soirées arrosées (voir S&V n° 1071, décembre 2006). Au diable les détails et la complexité de la machinerie terrestre !
Mais, depuis quelques années, le ton a radicalement changé. Plus sérieux, plus crédible, plus grave aussi. Car cette géo-ingénierie (de « géo », « la Terre« ) est en train de devenir un véritable champ de recherche, avec ses laboratoires prestigieux, ses colloques, ses modèles numériques, ses évaluations rigoureuses et, désormais, ses climatologues bon teint.
Pourquoi un tel revirement ? Inutile de vous faire un dessin : notre situation climatique est grave et presque désespérée… Fini la belle confiance affichée après le formidable Accord de Paris signé le 12 décembre 2015 par 195 pays, qui s’étaient engagés à contenir la hausse des températures mondiales « bien en deçà de 2 °C » à
la fin du XXI e siècle, et à mener des efforts encore plus poussés pour limiter cette hausse à 1,5 °C. Depuis, les États-Unis se sont retirés du traité. Et de toute façon, les engagements pris pour le moment par les autres signataires nous conduiraient à environ + 3,2 °C à la fin du siècle (voir courbe). Nettement insuffisant…
Pire peut-être : depuis environ deux ans, les études s’accumulent pour révéler à quel point un réchauffement de 2 °C serait déjà épouvantable à bien des égards. Contre toute attente, les dernières simulations montrent en effet un écart stupéfiant entre un monde soumis à +1,5 °C et celui porté à +2 °C : avec ce simple demi-degré supplémentaire, la surface terrestre touchée par les inondations serait doublée, le niveau de stress hydrique de la planète augmenterait de 50 %, la population exposée aux fortes canicules multipliée par trois, tandis que le niveau des mers s’élèverait d’au moins 10 cm, voire de plusieurs mètres, et que le nombre d’espèces menacées de plantes et de vertébrés augmenterait de moitié, celui des insectes de 70 %, etc.
UNE NÉCESSAIRE SOLUTION RADICALE ?
Deux études parues cet été font même craindre, à la lumière des derniers millions d’années, que ces 2 °C constitueraient un seuil critique au-delà duquel les phénomènes pourraient s’emballer de manière irréversible : fonte de la calotte Antarctique conduisant à plusieurs mètres de hausse du niveau de mers durant des millénaires, forêts tropicales devenant savanes…
Autant dire que l’objectif des +1,5 °C à la fin du siècle paraît de plus en plus souhaitable : c’est même le sujet du sommet organisé ce début octobre à Incheon (Corée du Sud), qui réunira scientifiques du Giec et décideurs de toute la planète. Une perspective pourtant de plus en plus… irréalisable en pratique avec les « classiques » baisses d’émissions 2 - même si la Chine semble avoir atteint son pic d’émissions, seule bonne nouvelle du moment.
Car cet horizon exigerait, dès aujourd’hui, une transition énergétique, industrielle, urbaine, agricole sans précédent connu dans l’histoire… pour ne plus émettre le moindre vers 2050. Qui plus est, avec une population croissante.
La tentation d’employer une solution radicale pour « réparer » le climat devient donc de plus en plus irrésistible. Filtrer le rayonnement solaire pour éviter que la température mondiale n’atteigne un seuil fatidique ?
Absorber massivement l’excès de CO2 de l’atmosphère pour enfin annihiler l’effet de serre ? Sachant qu’il faudra de toute façon réduire nos émissions.
Parmi la montagne de projets agités jusqu’ici, certains commencent à gagner en crédibilité. Deux en particulier : l’injection d’aérosols dans la stratosphère pour contenir le réchauffement, et l’alcalinisation des océans ambiant. L’heure n’est plus pour les scientifiques à la fanfaronnade, mais à l’évaluation précise des réels bénéfices et risques de ces opérations d’une ampleur inédite. Sans rien nier de la complexité du climat terrestre et de ses inconnues. Sans oublier non plus que, parfois, le remède peut être pire que le mal.
Pour la géo-ingénierie, les choses sérieuses commencent…
Source : science-et-vie.com