Qu’est-ce qu’un discours d’extrême-droite, et plus précisément celui du gourou Alain Soral ? C’est la question à laquelle ont tenté de répondre un petit groupe de chercheurs afin de comprendre l’une des figures de l’antisémitisme contemporain alors que son site, Egalité & Réconciliation, est le premier site politique de France.
Toujours une étrange sensation, que d’attendre un visage qu’on ne connaît pas. Place de la Madeleine (VIIIe arrondissement de Paris), nous avons rendez-vous avec le mystérieux « Collectif des 4 », un nom simple, loin du fantasmé « Comité Invisible » –collectif de l’incendiaire L’insurrection qui vient dont Julien Coupat était soupçonné d’être l’auteur principal, où devaient se trouver un psychanalyste, un sociologue, un politologue et un spécialiste de l’extrême-droite française. Ensemble, ils sortent un petit livre explosif et inédit : Le Cas Alain Soral. Radiographie d’un discours de l’extrême-droite.
Menaces autour de la sortie du livre
Pas de chance, les auteurs ne viendront finalement pas. A leur place, leur représentant, un autre sociologue dont on taira le nom, venu parler de ce livre confectionné par plusieurs mains anonymes. La raison ? « La dangerosité liée au personnage, nous confie le sociologue. C’est un personnage d’inspiration fasciste, au sens propre du terme, c’est-à-dire quelqu’un dont le rapport de force est déterminant dans sa vision du monde ». Des malheureuses déconvenues avec le fondateur d’Egalité & Réconciliation, « premier site politique de France », nous rappelle-t-on avec plus de 8 millions de visites par mois, il y en a eu. En septembre 2015, l’éditeur du livre Le Système Soral, Marc Grinsztajn, se fait agresser dix jours après sa parution. « Les auteurs n’avaient pas envie de se confronter à ce genre de situation, tout en réalisant un travail sérieux », souligne l’universitaire. La tension a monté d’un cran chez les éditions Le Bord de l’eau quand elles ont reçu un coup de fil, il y a deux mois, de l’avocat d’Alain Soral –également avocat du notoire prof de littérature et négationniste Robert Faurisson — Me Damien Viguier pour demander des infos sur le livre. Le spectre de la menace judiciaire plane déjà autour du livre bien avant sa sortie. Ce qui est d’autant plus inquiétant que les chercheurs n’ont aucune idée de comment ce dernier a pu être mis au courant.
Comprendre le discours pour comprendre l’homme
Le travail est d’ampleur, a duré deux ans et nécessité plus de 1 500 heures de visionnage dont l’étude se propose pour sujet principal Alain Soral, et ses nombreuses vidéos en ligne postées depuis plus dix ans en continu. Un travail inédit, écrit-on, puisque aucune étude universitaire n’a encore été à proprement parler réalisée. « Pour la plupart, ce sont des livres de circonstances, certains d’où transpiraient l’insulte comme celui d’Haziza, [Vol au-dessus d’un nid de fachos chez Fayard] ou centrés sur le facho-business, c’est-à-dire l’affairisme du personnage », analyse le chercheur.
Des ces heures à observer l’idéologue sur son canapé rouge, il en est sorti un bouquin de 180 pages pour comprendre le mythe soralien. Mais « l’idée n’est pas de statuer sur la psychologie du cas Soral puisque personne d’entre nous ne l’a rencontré, prévient le représentant du collectif. Nous ne travaillons pas sur la figure de l’homme mais sur la structure du discours. Pour nous, il s’agissait de retranscrire ce qu’il dit afin d’en laisser transparaître l’aberration logique ainsi que la violence verbale. Le livre fait attention à ne pas surinterpréter ce qu’il dit. D’où l’approche transdisciplinaire. » Vidéo à l’appui, les auteurs commentent et analysent Alain Soral avec précision, allant jusqu’à même interroger sa logorrhée de manière à comprendre ce qu’elle dit de l’homme, dans la lignée du travail de Cécile Alduy, Marine Le Pen prise aux mots. Aux mots, et à l’écran où lapsus, spontanéité, gestes, peuvent fournir aux chercheurs un formidable « matériel secondaire d’analyse. » Extrait :
«Son discours s’autonomise de toute expérimentation empirique, dans une logique de construction d’un monstre ennemi avec lequel il lutte psychiquement. Ainsi libérée de la réalité, la parole s’emballe, tourne autour de thèmes récurrents, d’associations d’idées sans fondements, et la forme du discours vient refléter cette absence de limites, il n’y a pas de scansion ni de ponctuation dans le langage soralien, seulement une tirade qui monte en intensité et en excitation durant des heures.»
L’antisémitisme moderne, punk et pop
Le questionnement du discours passe également par l’analyse des thèmes récurrents participant de la vision de la France d’Alain Soral, et d’un antisémitisme moderne. S’il y a ainsi des « formes d’antisémitismes traditionnelles qu’on retrouve chez Maurras [théorisant les juifs comme une nation à l’intérieure de la nation], il apporte une nouveauté lorsqu’il se définit comme national-socialiste, sans l’approche raciale, en donnant une dimension pop et sociale, commente le sociologue. Il injecte du marxisme, de l’intérêt pour les classes sociales populaires. De cette manière, il crée un mix partagé entre antisémitisme traditionnel et moderne avec un style un peu punk, post-anar qui parle à ceux qui défient les élites ».
Si l’œuvre est bien un travail d’ordre universitaire, il se lira plus facilement qu’une étude traditionnelle, convoquant avec prudence les concepts afin de saisir simplement l’énigme d’Alain Soral et tenter d’élucider une partie des raisons du succès du discours soralien. D’ailleurs, avec un peu de pathétique, les auteurs admettent bien mener un travail de « salubrité publique, malgré la conscience du fait que l’objectivation rationnelle est de peu de poids face à l’ardent besoin de croire et à la haine ainsi que nous l’a appris la psychanalyse à propos de la religion ». Pour autant, cela reste un « discours de mise en garde pour ceux qui pourraient être séduits », complète le sociologue.
L’ouvrage aura le mérite d’ouvrir des pistes pour de futures travaux. Qui est le public d’Alain Soral ? Comment ses vidéos sont-t-elles consommées ? En somme, comprendre « l’énigme d’un certain succès collectif, peut-on lire dans les dernières pages du livre. Manifestement, la marque Alain Soral fait recette et l’offre antisémite correspond, sinon à une demande, du moins à une attente politique ». Un travail sans hauteur ou jugement moral prenant le temps de prendre au sérieux un homme trop souvent raillé pour ses saillies sulfureuses, mais de fait trop peu analysé alors que son public ne cesse de croître depuis des années.
Le collectif des 4, Le cas Alain Soral. Radiographie d’un discours d’extrême-droite, Éditions Le Bord de l’eau, 2018 ,180 pages. A lire le 19 septembre prochain.