Rémunération, indemnités, transports aux petits oignons, cadre de vie luxueux… Les élus bénéficient d’un confort que certains refusent par ascèse et que d’autres se contentent de cacher.
Attablé dans un restaurant japonais, à deux pas de l’Assemblée nationale, le jeune député LR Julien Aubert laisse éclater son dépit entre deux sashimis: « Dans ce pays, quand on a un problème avec un individu, on en emmerde 200! Il y a eu Jérôme Cahuzac et son patrimoine caché à l’étranger, il y a désormais François Fillon et les émoluments mirobolants de son « assistante » Penelope. Encore une fois, le scandale, né d’un cas particulier, plonge toute la classe politique dans le collimateur des Français. »
Trop privilégiés, nos élus? La main sur le coeur, ils font la liste des réformes engagées depuis 2010: retraites rabotées, cumul des mandats interdit, déclarations d’intérêts publiées, patrimoine consultable en préfecture… Ces efforts, concédés face à une suspicion jamais rassasiée, viennent d’inspirer à Julien Aubert un livre au titre évocateur: Salaud d’élu (éditions Cent Mille Milliards). Mais de là à peindre nos représentants en victimes, il y a un pas… encore un peu dur à franchir. Ce serait oublier que les parlementaires jouissent d’un train de vie privilégié, aux zones d’ombre jalousement préservées.
Tous les cinq ans, les nouveaux députés découvrent les charmes de l’Assemblée. Moins magique que l’arrivée d’Harry Potter à l’école des sorciers, l’instant recèle malgré tout son lot d’émerveillements. Accueillis par des fonctionnaires aux petits soins, les heureux élus réceptionnent une valisette de voyage - siglée Longchamp pour l’édition 2012 - où sont rangés les insignes parlementaires: cocarde et écharpe tricolore.
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Ils sont ensuite escortés au service gestion financière et sociale, où ils s’affilient à des régimes de Sécurité sociale et de retraite particulièrement généreux. Seuls les sénateurs peuvent rivaliser avec eux. Ils recevront une indemnité brute mensuelle - parler d’un « salaire » serait vulgaire - d’environ 7000 euros. Et une indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) mensuelle de près de 6000 euros. Ils peuvent la dépenser à leur guise et elle traîne de ce fait une réputation sulfureuse.
« Facilités téléphoniques », « facilités de transport »…
Il faut s’engouffrer dans les entrailles de l’intranet de l’Assemblée - réservé aux parlementaires, à leurs collaborateurs et aux fonctionnaires - pour découvrir d’autres douceurs. Au rayon « facilités téléphoniques », on apprend qu’un député de base dispose de 4200 euros chaque année pour financer jusqu’à cinq abonnements mobiles pour ses collaborateurs et lui-même. Le budget s’élève à 9670 euros pour un député d’outre-mer… et à 16845 euros pour chacun des cinq députés des Français de l’étranger élus dans une circonscription extra-européenne. A l’heure de WhatsApp et des messageries gratuites par Internet, voilà un beau gisement d’économies.
En comparaison, les 15245 euros prévus pour équiper les députés et leurs collaborateurs en matériel informatique ont presque l’air raisonnable. Pour leurs déplacements hebdomadaires, les députés disposent de cartes SNCF illimitées en première classe et de 40 vols aller-retour entre Paris et leur circonscription. Confortable, mais pas illogique.
En revanche, la note de l’Assemblée sur les « facilités de transport » indique que les députés ont le droit de s’offrir chaque année six vols aller-retour pour n’importe quelle destination métropolitaine. « Les conjoints peuvent utiliser tout ou partie de ce contingent », est-il précisé. Comme nous le traduit une députée dans une langue un peu moins administrative: « Je n’utilise pas ces vols, mais si je voulais me faire un week-end à l’oeil en Corse avec mon compagnon en invoquant un pseudo-congrès, je pourrais! »
Si d’aventure les députés dépassent les limites prévues pour leurs frais de taxi, de téléphone ou d’informatique, il existe une formule magique: la fongibilité. Ils sont encouragés à puiser dans leur budget courrier - 12000 euros annuels que plus personne ne dépense complètement - pour doubler leurs frais de taxi et augmenter de moitié leurs dépenses de téléphonie. Ou comment se faire rembourser jusqu’à 5500 euros de taxi chaque année. Merci, La Poste!
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Comment ne pas succomber aux ors de la République
A force de confort, de cocktails à la questure et de marques de déférence des huissiers en uniforme, il devient parfois difficile de « vivre comme un spartiate dans le luxe d’un palais », comme le résume joliment un député. C’est ce que l’écologiste Isabelle Attard appelle la « tentation du côté obscur ». Inlassable empêcheuse de tourner en rond à l’Assemblée, elle milite pour une limitation des mandats dans le temps: « Savoir que c’est temporaire est le seul garde-fou que je vois pour ne pas s’habituer. » Depuis son élection, en 2012, elle a vu le pouvoir changer les hommes.
Cet écologiste, par exemple. Il se disait opposé à l’utilisation de la réserve parlementaire, jusqu’à ce qu’il réalise combien il est utile d’arroser les associations locales pour se faire réélire. Ou encore ce membre du groupe d’amitié France-Suède qui n’hésite pas à réclamer à ses homologues suédois, médusés, une invitation à déjeuner avec sa famille au Parlement suédois pendant ses vacances à Stockholm.
Ce sont enfin ces mâles bouffis d’orgueil qui aiment à se faire appeler « président », peu importe l’institution concernée. « Président du syndicat de la flotte, ça va! », s’esclaffe Isabelle Attard. Dès l’été prochain, si elle est battue, ou en 2022, si elle est réélue, la députée du Calvados sait déjà qu’elle ouvrira un café culturel pour occuper sa vie d’après le Palais-Bourbon. Il n’y aura pas plus de deux mandats.
A chacun son antidote pour ne pas succomber aux ors de la République. Depuis le RER qui le ramène en Seine-et-Marne, le patron des députés PS, Olivier Faure, confie qu’à son domicile, il passe l’aspirateur lui-même et qu’on peut le voir tous les week-ends pousser son chariot chez Carrefour. Quand elle rentre à Toulouse, la présidente de la commission des Affaires sociales, Catherine Lemorton, fait un sort au tas de linge à repasser qui l’attend à la maison.
Lorsqu’il était ministre de l’Education nationale, Benoît Hamon a refusé d’occuper son beau logement de fonction. Hors de question que ses filles grandissent dans un palais de la République. Sous le quinquennat précédent, Laurent Wauquiez se vantait, lui aussi, de ne pas avoir passé une seule nuit dans les ministères qu’il a occupés.
Luxe, calme et volutes de mauvaise conscience
Parfois, les élus eux-mêmes prennent conscience que leur train de vie peut choquer les électeurs. Alors, à défaut de renoncer à leurs avantages, certains tentent de les dissimuler. Les caméramans n’ont pas oublié les contorsions que leur infligeait Bernard Accoyer lorsqu’il présidait l’Assemblée nationale. L’ancien seigneur de Lassay avait horreur que la moindre dorure soit visible à l’image quand il accordait une interview au débotté. Mission impossible dans l’un des plus beaux palais de la République!
Son successeur, Claude Bartolone, ne cesse de dénoncer la « démocratie paparazzi » qui expose la vie des élus. Une équipe de télévision garde un souvenir cuisant d’un reportage réalisé dans sa résidence officielle, un jour de réception. Alors qu’elle se trouve dans les cuisines, elle filme de grandes quantités de viande prêtes à être cuisinées. Un conseiller de Claude Bartolone, chaperon des journalistes, exige alors que les rushes soient effacés sur-le-champ. En pleine crise économique, qu’auraient pensé les contribuables de ces images de festin?
L’heure est pourtant bien à la diète. Dès son élection, en 2012, Claude Bartolone gèle pour cinq ans le budget de la chambre basse, tout en rabotant de 10% l’IRFM pour mieux rémunérer les collaborateurs des députés. Au crépuscule de sa vie parlementaire, le vétéran socialiste François Loncle évoque, avec nostalgie, les grandes heures de l’Assemblée, cette époque où l’hôtel de Lassay du président Chaban-Delmas avait la réputation d’abriter la meilleure cave de Paris.
« Il n’en reste pas grand-chose », soupire le député. Elu pour la première fois en 1981, il lui arrive de maugréer contre la « dégradation de l’ensemble des services de l’Assemblée », contre la réduction du parc automobile et contre la fermeture le samedi matin de la somptueuse bibliothèque. Et que dire de la porte du parking, tombée en panne le 25 janvier, le soir du débat entre Benoît Hamon et Manuel Valls? François Loncle est resté coincé pendant une heure au sous-sol. Il en faudrait plus pour le dégoûter. « Ici, je serai toujours chez moi », glisse-t-il dans un sourire complice.
Dans quelques mois, après avoir abandonné son siège de l’Eure, il accédera au titre de « député honoraire ». Il n’aura plus droit à une place de parking, mais le fringant septuagénaire pourra toujours aller et venir à sa guise au Palais-Bourbon. Il existe même dans l’hémicycle une tribune réservée aux anciens députés. François Loncle ne sait guère s’il faut se réjouir de cet ultime privilège: « La tribune, on l’appelle l’ossuaire. »
Source : L’Express