De « nombreux facteurs conjugués mettent gravement en cause le caractère démocratique » des élections présidentielles et législatives anticipées prévues en Turquie en juin, juge la Commission de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Elle annonce que le résultat des élections ne sera pas légitime, et demande au gouvernement turc de les reporter.
Même si Erdogan a toujours balayé d’un revers de main les remarques que lui adresse le Conseil de l’Europe, c’est un pas de plus qu’a franchi l’assemblée parlementaire représentant les 47 Etats du Conseil, en condamnant par avance les conditions dans lesquelles vont avoir lieu deux élections déterminantes pour l’avenir de la Turquie. C’est aussi une manière de décrire en creux, la dérive d’un régime vers des pratiques qui caractérisent les dictatures.
La Commission chargée de veiller au respect des procédures démocratiques et des droits de l’homme par les Etats membres ( APCE ), vient en effet de signifier à Erdogan que les élections présidentielles et législatives anticipées du 24 juin, ne pourront pas être démocratiques pour de nombreuses raisons.
Tout d’abord, la loi électorale turque a été modifiée un mois seulement avant l’annonce des élections anticipées. L’APCE dénonce une manœuvre destinée à prendre de vitesse les partis d’opposition, rappelant que la modification des règles électorales trois mois avant le jour du scrutin est « contraire aux recommandations de la Commission de Venise (1). » L’Assemblée rappelle également que dans les modifications apportées à la loi par le gouvernement turc, le seuil électoral des 10% ( le plus fort d’Europe ), n’a pas été abaissé comme le demandait la communauté internationale, expliquant que « ce seuil très élevé réduira encore le pluralisme politique en écartant les partis politiques uniques. »
La Commission critique également le prolongation de l’état d’urgence pour le 7ème fois consécutive en Turquie, annonce faite par le gouvernement le jour même de l’annonce des élections anticipées. Pour elle, il est « impossible d’organiser des élections véritablement démocratiques dans le cadre de l’état d’urgence et des opérations de sécurité en cours dans le sud-est de la Turquie ( l’invasion du Nord de la Syrie et l’attaque d’Afrin par l’armée turque et ses supplétifs djihadistes, ndlr.) »
La Commission explique que l’état d’urgence a donné lieu à des mesures « disproportionnées » et à des « restrictions inacceptables des libertés fondamentales, » en particulier des libertés d’expression, des médias et de réunion. Elle rappelle que 10 députés de l’opposition ( les députés kurdes du HDP ) sont en prison, ainsi que 150 journalistes et défenseurs des droits de l’homme, tandis que beaucoup d’autres sont sous le coup de procédures judiciaires, ou sont accusés de terrorisme, sans preuves. Le président de la délégation des députés turcs au Conseil de l’Europe, Akif Qagatay Kilic, vient d’en apporter la confirmation en claquant la porte de l’assemblée en pleine session parlementaire pour retourner en Turquie, après avoir qualifié dans un communiqué de « terroriste » le leader kurde Salih Aslim, invité à participer à une conférence au Conseil de l’Europe.
La Commission rappelle également que de nombreuses ONG ont été dissoutes par le régime d’Erdogan, que la plupart des médias ont été soit fermés, soit rachetés par des entrepreneurs favorables au gouvernement, et qu’une nouvelle loi a encore renforcé le contrôle de la radiodiffusion en ligne, avec pour effet de réduire encore « l’espace réservé au débat démocratique en période électorale. »
Les critiques de la Commission portent aussi sur l’organisation matérielle et administrative des élections. Elle dénonce par exemple « l’effet dissuasif sur les électeurs », de la présence des forces de police dans les bureaux de vote, ou le fait que soient acceptés des bulletins de vote non tamponnés, et qu’aucune mesure n’ait été prise sur le financement des campagnes électorales et des partis politiques.
La commission conclut que « ce contexte défavorable empêchera la tenue et l’organisation d’élections véritablement démocratiques, » et confirme que les résultats ne pourront pas être considérés comme légitimes.
Deux mois avant qu’il ait lieu, le scrutin en Turquie est donc déjà frappé de nullité par les représentants de 47 pays du Conseil de l’Europe. Ce qui n’empêchera pas qu’il se déroule, mais qui confirme la course de vitesse dans laquelle vient de se lancer Erdogan pour disposer des pleins pouvoirs et museler toute forme d’opposition, en organisant un ultime coup d’état par les urnes. Des urnes dont il a toutes les raison de se méfier après la victoire, très courte, et très contestée, obtenue au referendum renforçant déjà ses pouvoirs, il y a un an.
(1) La Commission européenne pour la démocratie par le droit ( Commission de Venise ) est un l’organe consultatif du Conseil de l’Europe composé d’experts indépendants en droit constitutionnel.
(2)La Turquie, qui avait lancé un mandat d’arrêt international contre Salih Aslim, a déjà tenté de le faire extrader de la République tchèque où il avait été arrêté en janvier dernier.
Source : humanite.fr