Le fait que l’agriculture biologique utilise des pesticides vous surprend ? Vous n’êtes probablement pas seule : il semble qu’un Français sur deux l’ignore.
C’est ce qui a motivé le journaliste Erwan Seznec, qui contribue depuis des années au magazine Que Choisir, à écrire un article sur les pesticides utilisés par l’agriculture bio. Cet article, tout à fait standard et écrit dans une perspective d’information du consommateur, a été publié dans le numéro de septembre 2016 du magazine. Seulement, il n’a pas plu à certains au sein de la commission agriculture du parti Europe Écologie Les Verts (EELV). Comme expliqué sur un site temporaire visant à exposer cet incident, copie d’e-mails à l’appui, ces personnes se montrent préoccupées par les contributions passées et futures d’Erwan Seznec sur des sujets connexes. Loin d’apporter des contre-arguments pertinents et de s’engager dans un vrai débat sur les points scientifiques, les interlocuteurs adoptent une posture défensive, symptôme d’un malaise face à une réalité pourtant toute simple.
[EDIT] : certaines pages du site d’Erwan Seznec ne sont plus accessibles directement depuis le vendredi 14 octobre 2016.
Le bio considéré à tort comme exempt de pesticides
Le sujet des pesticides bio est pratiquement tabou en France, et pour cause, si on interroge les consommateurs sur ce qui les pousse vers les produits bio, la première raison est l’idée que ces produits seraient plus sains, notamment du fait qu’ils ne contiendraient pas de résidus de pesticides. Casser cette idée reçue, c’est donc en quelque sorte remettre en cause la raison d’être du marché du bio. On peut se demander si les acteurs économiques qui profitent directement de cette idée reçue n’ont pas une responsabilité dans sa diffusion. Car évidemment, on imagine bien que ce non-dit contribue très positivement à la dynamique qui anime le marché du bio en France et ailleurs.
Que les résidus de pesticides dans les produits agricoles représentent un risque réel ou non pour la santé, penser que l’on peut les éviter en consommant bio est erroné. Car effectivement, les agriculteurs en bio utilisent des pesticides, la liste des produits autorisés en France est disponible ici.
Alors, certains répondront que les pesticides bio sont principalement d’origine naturelle. Hélas, là n’est pas la question. Car il n’existe pas de différence fondamentale entre une molécule « naturelle » et une molécule synthétique. En particulier, le caractère naturel d’une substance ne dit rien sur sa toxicité pour le corps et l’environnement. Comme l’article d’Erwan Seznec le rappelle, les substances utilisées en bio ne sont pas anodines et contiennent des principes actifs (c’est d’ailleurs bien pour cela qu’on les utilise). L’auteur prend l’exemple bien connu de la roténone, qui est un insecticide extrait de plantes tropicales utilisé largement en agriculture bio en France jusqu’en 2011 après son interdiction par l’Union Européenne. Cette décision a été prise suite aux résultats d’études indiquant que la roténone augmenterait le risque de développer la maladie de Parkinson, chez les rats, et peut-être aussi chez l’être humain. Un autre exemple abordé est celui de la bouillie bordelaise, un mélange de sulfate de cuivre et de chaux, qui peut entraîner une accumulation de cuivre dans les sols, globalement toxique pour la biosphère.
Non seulement les pesticides bio sont potentiellement dangereux pour la santé des agriculteurs et pour l’environnement, mais en plus ils sont parfois moins efficaces que les pesticides de synthèse, qui profitent des progrès en agronomie et en génie chimique. Puisque l’agriculture conventionnelle a aussi la possibilité d’utiliser des pesticides naturels lorsqu’ils sont compétitifs, le bio qui lui s’impose des contraintes probablement inutiles se retrouve avec des pesticides moins efficaces (voir par exemple cette étude concernant la lutte contre les pucerons). Ironiquement, il n’est donc pas impossible de trouver des exploitations bio qui utilisent plus de pesticides que des exploitations conventionnelles pour obtenir des résultats comparables au niveau de la protection des cultures. Cela participe à la faiblesse relative des rendements du bio, qui sont en moyenne inférieurs d’environ 20% à ceux de l’agriculture conventionnelle. Voilà donc un nouvel effet pervers : pour produire une tonne de produits bio, il faut cultiver une surface significativement plus grande, et donc potentiellement utiliser plus de pesticides. Remarquons toutefois que la rotation des cultures, très utilisée en agriculture bio, permettant de limiter les besoins en herbicides, les remarques ci-dessus concernent surtout les insecticides et fongicides.
Idéologie et marketing avant tout
Nous n’irons pas plus loin dans cet article, car le but n’est pas de faire une analyse exhaustive de cette problématique bien trop large. Notons que nous n’avons pas affirmé que les résidus des pesticides bio étaient dangereux pour la santé du consommateur, car c’est encore et toujours la dose qui fait le poison, tout comme pour les pesticides synthétiques. L’idée à retenir, c’est que l’agriculture biologique utilise bel et bien des pesticides, et qu’ils ne sont pas spécialement inoffensifs comparés aux pesticides de synthèse utilisés par l’agriculture conventionnelle. En particulier, leur caractère naturel n’est pas un gage d’innocuité. Cela permet de prendre du recul par rapport au climat quasi hystérique du débat public sur les pesticides, et les « produits chimiques » en général. Il va de soit que l’usage de pesticides – bio ou conventionnels – doit être maîtrisé, afin de protéger la santé publique et l’environnement, et pour cela, il nous faut quantifier le risque associé à chaque pesticide. C’est le travail de centaines de chercheurs dans le monde entier.
Ce débat est un élément important d’une réflexion citoyenne fondamentale plus large, celle de notre modèle d’agriculture, et on peut tout à fait entendre des critiques légitimes du modèle actuel qui a ses limites. Ceci dit, pour nourrir la population mondiale tout en limitant au maximum l’impact de l’agriculture sur les sols, les cours d’eau, la biodiversité, le climat, la santé des agriculteurs et des consommateurs, une approche raisonnée et basée sur des données scientifiques solides est nécessaire. Un discours idéologique (et malheureusement institutionnalisé) tel que proposé par certains partisans du bio n’apporte rien de constructif dans la discussion citoyenne, car rien ne garantit que les mesures qui seraient prises soient cohérentes avec la réalité scientifique. Vouloir restreindre l’usage de pesticides à des produits naturels est un exemple type de choix arbitraire et sans pertinence qui illustre le fait que le marketing bio est basé sur une idéologie, et pas sur la science. Il exploite au maximum la crainte du public vis-à-vis de tout ce qui est « chimique », usant de pratiques proches de la désinformation et – dans le cas de l’incident relatif à l’article d’Erwan Seznec – certains partisans du bio semblent même regretter la liberté d’expression, lorsqu’elle touche à leur mensonge par omission sur l’usage de pesticides en bio. Dans un environnement capitaliste comme le nôtre, et avec un chiffre d’affaires de 5,5 milliards d’euros en France en 2015, pourquoi devrait-on s’attendre à ce que l’industrie du bio se comporte différemment des industries d’autres secteurs économiques majeurs ?
Source : http://sciencepop.fr