Les salaires des grands patrons français se remettent à flamber

Selon une étude de Proxinvest, en 2017, les PDG du CAC 40 ont touché en moyenne 5,1 millions d’euros, soit 14 % de plus en un an.

« Que les gros salaires lèvent le doigt ! », lançait, en 1982, le dirigeant d’un cabinet d’assurances joué par Jean Poiret dans un film de Denys Granier-Deferre. Trente-cinq ans plus tard, ils sont de plus en plus nombreux, parmi les patrons, à devoir se désigner ainsi. En 2017, les PDG du CAC 40 ont touché en moyenne 5,1 millions d’euros, soit un bond de 14 % en un an, selon une étude de Proxinvest mercredi 24 octobre.

C’est la première fois, depuis que ce cabinet de conseil aux investisseurs passe aux cribles les salaires des grands patrons, que la moyenne pour le CAC 40 franchit le seuil des 5 millions d’euros. Et encore, ce chiffre ne comprend pas le coût, pour les entreprises, des régimes de retraite supplémentaires, les fameuses « retraites chapeaux », faute de transparence suffisante.

En 2016, les rémunérations des PDG vedettes avaient reculé de 9 %. Avec l’embellie économique et la hausse des marchés boursiers, elles sont nettement reparties à la hausse en 2017. Une remontée similaire est enregistrée, au-delà du CAC, pour les patrons des 120 premiers groupes cotés français : en moyenne, leur rémunération totale a augmenté de 10 % en un an, et atteint près de 3,8 millions d’euros, son plus haut niveau historique.

Le rapport de Proxinvest, qui fait référence, confirme sur ce point les données publiées par les cabinets Ethics & Boards et Deloitte. Mais il y ajoute de nombreux éléments d’analyse et une interrogation-clé : ces rémunérations sont-elles justifiées, acceptables socialement ? La réponse de Loïc Dessaint, le directeur général de Proxinvest, est claire : très souvent, ce n’est pas le cas.

Ces sommes stratosphériques posent un problème de « cohésion sociale », souligne le rapport

Au sein des quarante champions du capitalisme français, vingt-neuf patrons ont reçu en 2017 plus de 4,87 millions d’euros, soit l’équivalent de 240 smic, la rémunération maximale jugée « socialement acceptable » par Proxinvest. Cinq dirigeants de groupes cotés se situent même au-delà de la barre des 10 millions d’euros : Douglas Pferdehirt (Technip-FMC), Paulo César Salles Vasques (Téléperformance), Carlos Ghosn (Renault), Gilles Gobin (Rubis) et Bernard Charlès (Dassault Systèmes), le champion toutes catégories. A lui seul, ce dernier a été payé 15,8 millions d’euros selon la société, 24,6 millions selon l’évaluation de Proxinvest ! Le résultat d’un cocktail savamment dosé : un peu de salaire fixe, de solides bonus et beaucoup d’actions dites « de performance »…

Ces sommes stratosphériques, incompréhensibles pour beaucoup, posent un problème de « cohésion sociale », souligne le rapport. Comment expliquer à des salariés que leur patron gagne autant ? Comment afficher des rémunérations aussi « plantureuses » – en moyenne, un patron du CAC perçoit 135 fois le salaire brut moyen des Français – sans nourrir le ressentiment, la colère, le populisme ?

D’autant que d’année en année, les sommes touchées par les stars du CAC 40 semblent s’éloigner toujours plus de celles du reste des dirigeants, des cadres et des salariés en général. Entre 2014 et 2017, les patrons du CAC 40 ont ainsi vu leur rémunération progresser deux fois plus vite que celle du personnel de ces groupes, selon Proxinvest.

Globalement, la hausse dont bénéficient les PDG « est trop rapide » par rapport à celle de la rémunération des salariés, comme au regard de l’augmentation de la valeur boursière des groupes concernés, estime Proxinvest. Mais certains cas sont particulièrement contestables.

Attribution d’actions gratuites

Le rapport insiste sur celui de Douglas Pferdehirt, le nouvel homme fort du groupe parapétrolier TechnipFMC. Ce dernier s’est vu attribuer des actions gratuites, des actions de performance et des options pour un total de 7,5 millions d’euros, mais aussi un bonus annuel de 1,9 million d’euros. « Scandaleux ! », s’étranglent les experts de Proxinvest, alors que la société a essuyé une perte nette, que son cash-flow (flux de trésorerie) opérationnel a fondu, et que son cours de Bourse a baissé de 24 %. Comment comprendre que M. Pferdehirt soit l’un des dirigeants les mieux payés du CAC « et que, dans le même temps, les salariés accusent un gel des salaires pendant deux ans ? », ont également demandé la CFDT, la CGC et la CGT lors de l’assemblée générale, en juin.

Autre dossier délicat, celui de Georges Plassat. En juin, l’ancien PDG de Carrefour s’est fait octroyer par ses actionnaires un total de plus de 13 millions d’euros, alors même qu’il avait quitté, mi-2017, une entreprise en difficulté. Face au tollé, l’ex-patron a renoncé le lendemain à la prime de non-concurrence de 3,9 millions d’euros, jugée particulièrement « choquante » par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Dans la foulée, les organisations patronales Association française des entreprises privées (AFEP) et Medef ont corrigé les règles qu’elles conseillent à leurs adhérents de suivre : plus question de conclure un accord de non-concurrence au moment où le dirigeant s’en va, ni de verser une telle indemnité lors d’un départ à la retraite. Ces modifications tardives restent toutefois « insuffisantes », estime Proxinvest.

Ces cas extrêmes le confirment : les patrons des très grands groupes sont de plus en plus payés en actions. En neuf ans, la part des actions dans la rémunération totale des PDG du CAC est passée de 5 % à 36 %, au détriment, en particulier, du salaire fixe. Au sein du SBF 120, plus de six dirigeants sur dix bénéficient désormais d’actions gratuites. Une façon pour les conseils d’administration d’aligner l’intérêt des manageurs sur celui des actionnaires, désormais considérés comme ultraprioritaires par rapport aux autres parties prenantes de l’entreprise, comme les salariés.

Source : le Monde