En 2014, un couple, Jonathan B. et Laurine C., est victime d’un cambriolage lors duquel la jeune fille est violée. A la barre cette semaine, les suspects ont tenté de renvoyer les accusations d’antisémitisme sur leur complice en cavale.
Il porte depuis le début du procès un petit drapeau français épinglé sur la gauche de son élégant costume gris. A la barre, ses cheveux châtains gominés vers l’arrière, Jonathan B., ancien gendarme, dit : «Ça a détruit ma vie à tous les niveaux. Vous avez beau être solide, formé, ça vous brise. Ça explose tout autour de vous. Vous ne vous sentez plus jamais en sécurité.» Il y a près de quatre ans, ce jeune homme de confession juive, mais «pas pratiquant», et sa petite amie, Laurine C., ont été violemment agressés et séquestrés au domicile des parents de Jonathan, dans le quartier du Port, à Créteil (Val-de-Marne). Lors de ce cambriolage sur fond d’antisémitisme, Laurine a aussi été violée.
Leurs trois agresseurs et deux complices supposés sont jugés, depuis mardi et jusqu’au 6 juillet, devant la cour d’assises du Val-de-Marne. Agés de 21 à 26 ans, ils comparaissent notamment pour vol à main armée, séquestration, viol et violences en raison de l’appartenance de la victime à une religion. L’un des trois agresseurs supposés, en cavale depuis, fait l’objet d’un mandat d’arrêt. Tous encourent jusqu’à trente ans de prison pour cette agression extrêmement violente qui avait suscité de vives réactions, dont celle de Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, qui avait appelé à faire de «la lutte contre le racisme et l’antisémitisme une grande cause nationale».
Ce vendredi, Jonathan B., 25 ans, est venu témoigner devant la cour. Le lundi 1er décembre 2014, le couple s’est levé tard. La veille, Laurine et lui étaient rentrés vers minuit de leur week-end en Normandie. C’est là-bas qu’ils se sont rencontrés, quand il était gendarme. Il est un peu plus de midi lorsque la jeune femme, alors âgée de 19 ans, entend sonner à la porte. A peine a-t-elle entrouvert que trois hommes cagoulés et gantés s’engouffrent dans l’entrée. L’un d’eux est armé d’un pistolet semi-automatique, un autre d’un fusil à canon scié. Elle crie : «Jonathan, Jonathan !» «Laurine était par terre, à moitié allongée contre le mur», décrit sobrement le jeune homme à la barre.
«Je me dis que c’est de ma faute»
Le supplice du couple va durer un peu plus d’une heure. Leurs portables sont confisqués. «Où est l’argent ?» répètent les malfaiteurs, qui mettent à sac l’appartement. Laurine va chercher 55 euros dans son sac ; ce n’est pas assez. «Ils répètent qu’ils ne sont pas là pour rien. L’un me dit : « On sait que vous avez de l’argent. On sait que les juifs ont de l’argent »», rapporte Jonathan, à qui l’on demandera s’il est juif. Le trio pense que son frère gère un magasin de la ville - il n’est que vendeur -, et dit savoir que son père «est celui qui a la Mercedes noire et qui sort le samedi avec le rond ou le truc sur la tête». «La pression monte de plus en plus. Ils s’énervent parce qu’ils ne trouvent rien et deviennent de plus en plus agressifs», poursuit le jeune homme.
Le couple est ligoté, pieds et poings liés, la bouche bâillonnée au ruban adhésif. Laurine pleure, tremble, suffoque. Jonathan ne pense qu’à la protéger, elle et le petit bichon que les malfaiteurs menacent de tuer, car il ne cesse d’aboyer : «Là, je me suis dit qu’ils n’avaient pas peur d’utiliser leurs armes.» Jonathan explique que l’argent de ses parents est sur leur compte bancaire. «Les juifs, ça ne met pas l’argent à la banque», lui rétorque l’un. «On m’a dit d’arrêter de faire le malin, et on m’a mis l’arme dans la bouche.» On lui braque aussi le canon sur le front. Jonathan se souvient encore «de la froideur du métal». Sous la menace - «dis-moi où est l’argent ou je te bute» -, Jonathan finit par livrer sa carte bleue et son code. Un des agresseurs file au distributeur retirer quelques centaines d’euros.
La violence du huis-clos ne s’arrête pas là. Aux enquêteurs, Jonathan a rapporté cet interrogatoire pervers, dont il a fait l’objet au sujet de sa petite amie : «Elle t’a déjà trompé ?» «Parce que mon pote, il a grave faim.» Ou encore, toujours selon son récit : «Ça te dirait que ta copine suce une queue de Black ?» Laurine se retrouve seule dans une chambre avec l’un d’eux, qui, décrira-t-elle aux policiers, lui impose des caresses sous son tee-shirt, avant de se livrer à une pénétration digitale après avoir ôté son gant. Pendant ce temps, Jonathan est à terre dans le salon. On fait tomber sur lui des couteaux de l’argenterie familiale, comme si on «jouait un peu aux fléchettes dans mon dos». Il confie s’être dit : «J’espère juste que ça va pas finir comme Ilan Halimi», le jeune homme juif séquestré, torturé et tué par le «gang des barbares» à Bagneux en 2006.
Depuis le début, celui qui a été gendarme quatre ans durant est persuadé d’une chose : sans les réflexes issus de sa formation, «on serait morts». Cela ne l’empêche pas, près de quatre ans plus tard, de se sentir coupable. «Je me dis que c’est de ma faute. C’est moi qui ai ramené Laurine à Paris. Si on n’était pas venus ici pour mon nouveau travail, il ne se serait jamais passé ça», regrette-t-il, tandis que son ex-petite amie, sur le banc des parties civiles, tente d’étouffer des sanglots, la tête baissée contre la poitrine. La jeune femme aux longs cheveux blonds et au teint clair, aujourd’hui âgée de 23 ans, a préféré être entendue à huis clos vendredi matin. Si elle a fait un malaise à l’issue de son audition, Laurine s’est courageusement tournée vers les quatre accusés présents, leur demandant : «Pourquoi vous m’avez fait ça ?» L’un baissait la tête, tandis que les trois autres regardaient ailleurs, ont rapporté les avocats de la partie civile.
Un septuagénaire agressé dans un autre immeuble
Qui des trois accusés l’a violée ? Qui est celui ayant tenu principalement les propos antisémites ? La cour s’échine, depuis le début, à déterminer le rôle joué par chacun… Mais les armes sont passées de main en main, les malfaiteurs étaient cagoulés, et quatre ans après les faits, les souvenirs sont troubles. «J’ai fait beaucoup de cauchemars. J’ai revécu la scène mille fois. Je ne sais plus», s’excuse souvent Jonathan auprès du président de la cour ou de l’avocate générale, craignant de confondre la réalité et ses résurgences traumatiques. En revanche, il est convaincu «à 100 %» du caractère antisémite de l’agression. «Quel intérêt de décrocher la mezouzah [petit boîtier contenant des passages de la Bible, ndlr] sur la porte ? C’est clairement volontaire !»
La veille, son père l’avait précédé à la barre. «Mon fils a été très marqué, très traumatisé, sauf qu’il ne le montre pas», a dit ce juif pratiquant, aussi élégant que son garçon. Me Klugman, avocat des parties civiles, interroge : «Votre appartement est-il celui qu’on trouve le plus facilement dans l’immeuble ?» «Certainement pas», répond le retraité de 60 ans qui, comme il est de coutume les jours de shabbat, avait tendance à «s’habiller un peu mieux» et à porter sa kippa pour se rendre à la synagogue du coin. «Toutes les portes sont identiques. Rien ne peut les différencier, sauf la mezouzah.» Dans le bâtiment, leur logement est le seul à en arborer une.
Trois semaines auparavant, on avait sonné à la porte. C’est le petit frère de Jonathan B., Samuel, qui avait ouvert. L’un des accusés avait alors demandé du sucre. L’objectif ? Un repérage : voir à l’intérieur de l’appartement, avait-il reconnu auprès des policiers. Mais voilà, le jeune homme et Samuel jouaient ensemble au foot lorsqu’ils étaient gamins. Le plan tombe à l’eau. Samuel trouve la situation suspecte. Jonathan raconte que son frère lui a dit «qu’il allait déposer une main courante, je lui ai dit que je ne voyais pas trop à quoi ça servirait». Finalement, c’est un septuagénaire - également de confession juive - qui est agressé, dans un autre immeuble, selon le même processus «du sucre». Le «petit vieux» est roué de coups, mais les trois hommes déguerpissent vite, car il crie à l’aide. Il est choisi parce que son fils et lui sont «bien vêtus», aucun propos antisémite n’est prononcé - ce qui avait conduit la juge d’instruction, dans un premier temps, à ne pas retenir cette circonstance aggravante. Avant de la rétablir. Deux des accusés présents dans le box sont donc jugés, en même temps, pour cette agression de Simon E.
L’appartement des parents de Jonathan a-t-il été ciblé en raison de leur confession religieuse ? Ou les jeunes du quartier étaient-ils motivés simplement par l’appât du gain, l’un d’eux ayant notamment une dette de 300 euros à rembourser ? Les accusés, aussi jeunes que leurs victimes et tous originaires du coin, nient la dimension antisémite du crime. C’est leur coaccusé qui a fui vers l’Algérie qui aurait tenu des propos visant les juifs. Lui aussi qui aurait été le plus agressif. Aujourd’hui, Jonathan espère leur «faire comprendre qu’ils ont agressé des jeunes comme eux et ruiné leur vie. Je veux qu’ils comprennent que ce qu’ils ont fait, ce n’est pas juste une grosse bêtise. Ils ont gâché la vie de mes parents, celle de Laurine qui n’avait rien demandé, et ma vie.»
La plus grosse communauté juive d’Ile-de-France
Depuis les faits, «beaucoup de familles juives sont parties du quartier, car elles n’ont pas envie que ça leur arrive un jour», indique le jeune homme, qui commencera un nouveau travail lundi, après être resté longtemps sans «situation stable ». Le quartier du Port est pourtant l’une des zones de prédilection de l’importante communauté juive implantée à Créteil, la plus grosse d’Ile-de-France. Jonathan regrette ce temps où il était petit et où tous mangeaient, allaient à l’école, jouaient ensemble… Il n’avait jamais été visé par des propos ou des actes antisémites, même si «ça se dégradait depuis quelques années». Après l’agression, ses parents, mariés depuis vingt-sept ans, ont évidemment envisagé de quitter cet appartement et «même la ville» où leurs deux fils ont grandi. Mais, «jusqu’à présent, nous n’avons pas trouvé d’appartement aussi confortable qui soit dans nos moyens et à proximité de commerces d’alimentation comme ici, qui permettent de manger casher», a expliqué le père. Le verdict est attendu le 6 juillet.
Source : Libération