L’Antarctique fond plus rapidement qu’on ne le pensait

Bien que l’effet de la fonte des glaces sur l’élévation du niveau de la mer ne soit pas clair, une nouvelle enquête devrait aider les scientifiques à mieux comprendre les effets du changement climatique sur le continent.

Un réseau étonnamment vaste de voies navigables traverse les plateaux de glace de l’Antarctique, les pans de glace se détachant des côtes du continent.

Ces flux saisonniers, provenant pour partie du cycle naturel de l’eau en Antarctique, traversent le continent depuis des décennies. Depuis plusieurs années, les scientifiques les ont systématiquement étudiés et les dernières mesures sont inquiétantes : les flux sont désormais plus denses et étendus que ce que beaucoup de scientifiques avaient imaginé.

Dans certains cas, ces fluctuations atteignent une échelle difficile à appréhender. La plate-forme de glace Amery, sur la côte est de l’Antarctique, draine des flots ininterrompus sur plus de 120 kilomètres, alimentant des piscines naturelles à la surface de la banquise qui peuvent s’étendre sur plus de 80 kilomètres. Avec la fonte rapide des glaces, on pourrait remplir l’équivalent de 400 terrains de football chaque jour.

Ces données, publiées mercredi dans la revue Nature, donnent des informations vitales sur la fonte des glaces en Antarctique. Mais il est trop tôt pour dire si ces systèmes de réservoirs d’eau, qui sont près de 700 au total, aident ou handicapent le blanc équilibre de l’Antarctique - un enjeu réel, compte tenu du rôle potentiel de ces eaux nouvelles dans l’élévation du niveau de la mer.

Le détachement d’une plate-forme de glace n’affecte pas directement l’élévation du niveau de la mer : par définition, une plate-forme de glace flotte déjà sur l’eau. Mais le climatologue de l’Université de Massachusetts-Amherst, Rob DeConto, note que certaines plate-formes de glace agissent comme des contreforts, ce qui entrave l’écoulement de la glace dans la mer et le nivellement des terres arctiques. La perte de ces plate-formes de glace accélère donc le nivellement de la glace et des terres, ouvrant en quelque sorte le robinet qui augmente le niveau de la mer.

« C’est un peu comme laisser le videur d’un bar ou d’une salle de concert laisser passer des foules entières », ajoute le co-auteur de l’étude, Robin Bell, un glaciologue à l’Observatoire Lamont-Doherty Earth de l’Université de Columbia. « Les plate-formes de glaces sont en quelque sorte les portiers de l’Antarctique : retirez-les et une plus grande quantité de glace se retrouvera dans l’océan« .

L’eau de fusion peut constituer une menace pour la stabilité des plate-formes, en les alourdissant et en élargissant leurs crevasses internes. Par exemple dans les jours précédant l’effondrement soudain de la plate-forme de glace Larsen B en 2002, des étangs d’eau avaient recouvert sa surface. Un autre pan de cette même plateforme, Larsen C, pourrait céder dans quelques semaines ou quelques mois.

Dans l’une des deux études récemment publiées, Bell et son co-auteur, Jonathan Kingslake, mettent en exergue que le drainage à grande échelle pourrait intensifier la menace que représente l’eau de fonte, car il permet à cette eau de se déplacer plus efficacement, surtout si le changement climatique se maintient et que les températures continuent d’augmenter.

« Cela peut devenir important, car la quantité d’eau de fusion qui se forme dans un seul endroit n’est pas seulement le résultat de la fonte des glaces. Cela résulte également du déplacement des eaux sur de longues distances », explique Kingslake, qui est également glaciologue à l’Observatoire de Lamont-Doherty.

D’un autre côté, la seconde étude de Bell and Kingslake suggère que ces réseaux d’écoulement d’eau pourraient aider à la stabilisation d’au moins une plate-forme, en drainant efficacement l’eau de fonte hors de la surface de la dite plate-forme.

La prudente étude de Bell sur la plate-forme Nansen, un pan de glace s’étendant sur plus de 1 118 km² qui se jette dans la mer de Ross de l’Antarctique, montre que la plateforme évacue l’eau de fonte stagnant en surface jusqu’à l’océan et ce depuis au moins le siècle dernier. Les canaux de dérivation fusionnent finalement, emportant l’eau de fonte dans l’océan par une le biais d’une cascade d’environ 130 mètres de large.

TERRA (TOUJOURS) INCOGNITA

Bell ajoute que ce type d’études sur le continent n’a été possible que grâce au recueil de données pendant plus d’une décennie, grâce à l’imagerie satellitaire et aux photos prises par des avions militaires. Pour son étude de la plate-forme de glace de Nansen, Bell a même consulté des revues centenaires du Northern Party, un contingent de la fameuse expédition Terra Nova de Sir Robert Scott qui ne s’est pas aventurée sur le pôle Sud.

« Ils ont pris beaucoup de mesures mais ils ont été bloqués et ont dû passer l’hiver dans une grotte ; c’est tout ce dont [les gens] se rappellent d’eux », dit Bell. « Pouvoir utiliser les faits qu’ils ont rapporté et leur donner du crédit pour ce qu’ils ont fait me rend très heureux. »

Mais Bell et Kingslake, avec des experts extérieurs, soulignent que l’Antarctique reste méconnu dans son ensemble. C’est un lieu hostile, défavorable aux scientifiques et aux instruments scientifiques.

« Nous sommes dans une situation où nous avons une nappe de glace qui a le potentiel d’ajouter environ 54 mètres au niveau de la mer, et nous ne connaissons ni la topographie du plancher océanique, ni l’épaisseur de la glace « , déclare Helen Fricker, une glaciologue de l’Établissement d’océanographie Scripps qui a étudié les fluctuations des eaux de la plate-forme Amery. « Arriver à tout cartographier est une tâche monumentale.”

« Nous essayons de comprendre cet immense continent, mais nous n’avons qu’une poignée d’outils… et nous faisons de notre mieux », ajoute-t-elle.

Source : nationalgeographic.fr